Alain Bonnefoit
La Chair et le Trait
Si Alain Bonnefoit est connu de part et d’autre de l’Oural pour avoir su mieux que quiconque en son domaine, opérer une fusion entre les cultures européenne et asiatique, et plus particulièrement française et japonaise, il faut garder à l’esprit qu’il est aussi l’homme de deux Europes : celle du Nord, de Paris et de ses automnes, mais aussi celle du Sud, de Florence et de la lumière de Toscane.
Durant l’été, Alain Bonnefoit a comme à son habitude été mis à l’honneur en Toscane où deux expositions lui ont été consacrées. L’une à Barberino Tavernelle intitulée Ensemble – Storie di Amori, et l’autre à Carrare, intitulée L’Attesa. Des aspects divers de son travail y ont été présentés, de ses fameux sumi-e, à ses peintures, techniques mixtes et sculptures, en passant par des œuvres numériques. Dès cet automne, il est de retour à Paris, entre autres avec une importante exposition organisée par la galerie Laetitia de Saint-Germain-en-Laye, tout en continuant de répondre aux sollicitations italiennes. L’exposition préparée à la galerie Fornaciai de la rue San Jacopo fait partie des plus attendues du moment par les collectionneurs florentins.
Peintre montmartrois par sa naissance et son ancrage, Alain Bonnefoit est devenu Toscan par aventure, et par ses explorations et sa soif de connaissance, s’est fait chantre européen de la voie du trait extrême-orientale. Souvent présenté ainsi, cet artiste jouit d’une solide image auprès des spécialistes des arts graphiques occidentaux ainsi que des amateurs d’arts traditionnels asiatiques.
Son public, aussi large et divers que le continent, ne se trompe pas en reconnaissant en lui un des grands artistes de notre temps, dont la production se recherche et s’évalue à l’aune d’une certaine rareté, d’un caractère unique et précieux qui lui confère un statut à part dans le paysage contemporain. Cependant, les historiens de l’art le savent bien, il est trop facile de céder à la facilité des résumés évidents, des notices biographiques s’écoulant sans détour comme en un chenal. Car l’œuvre d’Alain Bonnefoit doit pour être mesuré proprement, être lu comme un objet indéfini bien plus que comme un objet hybride.
Une erreur commune revient à livrer une analyse technique de son travail, mettant en avant son succès à avoir digéré les savoir-faire d’hier, ou d’ailleurs, et à les avoir restitués sous une forme inédite, issue d’un mariage original. Le fait que son sujet-roi, – ou devrait-on dire sa matière-reine –, soit le corps féminin, donne une force allégorique et une légitimité à cette façon de l’aborder : un peintre de l’amour représentant l’objet du désir ainsi que Dante sa Béatrice et ayant pour se donner des moyens à la hauteur de sa quête, dû inventer comme jadis le poète, un mode unique, essentiel, libre et protéiforme à la fois, en puisant partout ce qui pouvait nourrir la perfection de son œuvre en même temps que la gloire de son absolu.
Mais ce qui fait vraiment sa qualité, est peut-être tout simplement l’impossibilité d’en saisir l’objet analytiquement. Les angles d’attaques sont multiples pour y accéder et malgré le caractère magistralement épuré de son art, on se surprend à pouvoir le décortiquer à l’infini, un peu comme si tout y était présent sans y être visible. En quelque sorte, il faut au-delà du concept réaliser que dans la totalité de son œuvre plane un sentiment indéfinissable et bien peu commun : on ne voit pas la main de l’artiste, beaucoup mieux : on sent son regard. Autrement dit, contempler l’une de ses toiles, ce n’est pas simplement rentrer dans une création, mais se faire déposer instantanément au centre de la Création, c’est-à-dire au cœur de la vision magnifiée de l’artiste, dans la divine tornade de son mouvement intérieur. Dès lors, on ressent comme une vacuité à tenter de gloser sur la cohérence des divers éléments techniques ou symboliques qui le composent. Car en fait de cohérence, en ressort un mouvement unique, un élan qui ferait oublier ses partis-pris stylistiques et même le fait qu’il s’attache à peindre des femmes. La fascination exercée par sa production dépasse largement le subtil équilibre trouvé entre des aspects de lui-même qui font tantôt penser aux maîtres de la vieille école de Paris, tantôt aux anciens de la Renaissance italienne, tantôt aux derniers grands calligraphes de la Corée et du Japon… tout cela à la fois mais rien qui emporterait l’ensemble de manière indiscutable. L’œuvre d’Alain Bonnefoit évoque en fait le plus indéfinissable des phénomènes humains : être soi en créant quelque chose qui est tout, et à travers ce tout, ramener le reste de l’humanité à soi. Sa force est d’avoir été soi sans avoir été « quelque chose », mais toute chose, et sans être devenu « quelqu’un », être devenu, à sa façon, chacun.
Sharleen 160x80cm
Thibaud Josset
Du 28 mai au 17 juillet 2022
Spedale de Pellegrini et Palazzo Malaspini
Comune di Barberino Tavernelle (FI) – Italie
Du 23 juillet au 27 août 2022
Palazzo Binelli
Fondazione Cassa di Risparmiodi
Carrare – Italie
Du 11 septembre au 23 octobre 2022
Galerie Laetitia
58, rue de Paris
78100 Saint-Germain-en-Laye
Tel. 01 30 61 42 88
www.galerielaetitia.com
Du 6 au 20 octobre 2022
Fornaciai Art Gallery
Borgo San Jacopo, 53/r
50125 Firenze (Florence)-Italie
www.fornaciaiartgallery.com
Morgan 60x180cm