Univers des Arts

Editorial #220

Théorie artistique

par Thibaud Josset

Première de couverture magazine #220 automne 2025 in Guodong
Qin Guodong - théorie artistique
Qin Guodong est né en 1962 à Yongshun, dans la préfecture du Xiangxi, province du Hunan, en Chine. Il a étudié successivement au Département de peinture à l’huile de l’École des beaux-arts de l’Université normale du Hunan, au Département de peinture chinoise de l’Académie centrale des beaux-arts, à l’École doctorale de l’Académie nationale des arts de Chine et mené des recherches en tant que chercheur invité à l’Académie nationale des arts de Chine. Il est engagé à long terme à la fois dans la création artistique et dans la recherche académique. Son travail couvre des domaines aussi larges que la peinture chinoise, la peinture à l’huile, l’aquarelle et la calligraphie chinoise. Ses œuvres sont exploratrices et sont structurées autour d’une réflexion de fond sur le concept de modernité, donnant vie à un style et une spiritualité empreints d’originalité et d’indépendance, avec des résultats jugés fructueux, souvent remarqués par ses pairs. Depuis 2017,
il séjourne en Europe pour des échanges artistiques, des séjours d’études, de recherche, d’enseignement et de création, principalement dans la ville médiévale de Moret-sur-Loing et plus généralement en région parisienne. Il a également effectué de nombreux échanges avec des peintres et des organisations artistiques françaises. Il est membre des Amis de Sisley, de la Maison des Artistes et est membre correspondant de l’Association française des arts plastiques.
Après des décennies de création et de recherches artistiques ininterrompues, Qin Guodong a abouti à la fondation de sa « théorie » de la peinture contempliste. Il est auteur de deux importantes monographies contenant son discours artistique : Théorie artistique (2024) et Théorie de la calligraphie et de la peinture chinoises (à paraître). La présente publication est le fruit de l’adaptation en français de son ouvrage de 2024.

Les lecteurs de cette version francophone y découvriront un objet textuel déployant une infinité d’univers à l’intérieur d’un seul. Le terme méta tant galvaudé n’est pas ici usurpé tant il s’agit d’une production inclassable : à la fois journal intime, recueil de pensées, narration à sa manière, périple spirituel, essai poétique et discours philosophique. A la façon d’une araignée, l’auteur tisse une toile sur le long terme, un enchevêtrement de fils qui entraîne le lecteur dans un voyage mental où alternent joyeusement confusions, fulgurances, prises de conscience, découvertes, irruption de l’altérité et révélation de soi. Un infini sérieux et une insondable ironie s’y côtoient jusqu’à disparition totale de leur appréciation objective. Au fil de cet écrit qui doit être appréhendé avec autant de distance que de considération immédiate, on se prend étrangement à se laisser attraper au jeu de ces cheminements de pensée typiquement chinois dont le traducteur a choisi de restituer le rythme poétique, les sentences faussement décousues, les répétitions, les contradictions apparentes et les récurrences signifiantes. Parfois ardue, la lecture doit être entreprise avec dans l’idée qu’il s’agit de la transposition d’une langue savante obéissant à des règles exotiques et millénaires, celle des penseurs de l’antiquité orientale. Morceau par morceau, œuvre par œuvre, sentence par sentence et sensation après sensation, le lecteur se surprend à se laisser engloutir dans cet univers mental aux litanies hypnotiques, et surtout à l’intimité généreuse, élégante, d’un grand artiste-peintre.

Un Paysage dans le paysage, 2019, 65 × 50 cm
Un Paysage dans le paysage, 2019, 65 × 50 cm
L’art est une fenêtre des sentiments et des pensées de l’homme
ouverte sur la nature, et le gène naturaliste est encore capablede générer des oeuvres d’art originales et de fournir un matériau précieux pour la peinture contempliste.
Le Monde de la lumière, 2017, 61 x 46 cm

Le Monde de la lumière, 2017, 61 x 46 cm,
Collections privées
Ce que l’art crée, c’est l’univers de la pensée humaine.
La création de la nature et la création de l’esprit humain constituent les dimensions de l’art.
La peinture contempliste recherche non seulement l’originalité, mais aussi un art avec plus de beau et plus de puissance.

Nous l’avons souligné : Qin Guodong est un artiste plasticien et un chercheur pluridisciplinaire reconnu par ses pairs en Chine. Les lecteurs francophones ont ici l’opportunité de s’intéresser à son concept-phare, le “contemplisme”, ainsi qu’il est désormais traduit en français, et d’évoquer certaines particularités de la culture artistique chinoise d’aujourd’hui.

Artiste peintre travaillant et pensant sa création au carrefour de la peinture traditionnelle chinoise, de l’aquarelle et de la calligraphie, de la peinture à l’huile et des techniques occidentales, il est aussi un universitaire spécialisé à la fois en histoire des arts et en philosophie de la création. Son travail, qu’il soit plastique ou intellectuel, est toujours exploratoire et chargé de la conscience des lourds enjeux de la modernité, de l’originalité et de la spiritualité en art. Fin connaisseur de l’Europe où il effectue de nombreux séjours d’études et d’enseignement, d’échanges artistiques et de retraite créative, il est attaché durablement à la ville de Moret-sur-Loing, véritable personnage principal de ses écrits, sorte d’autre soi offert à la création. Volontiers impliqué dans la vie artistique française, l’auteur nous entraîne aussi dans un monde de sociabilité où se devinent les conversations, les complicités, les aspirations communes. De cela découle une tension étonnante entre le mouvement des personnes vivant en société, et celle de l’esprit de l’artiste ému dans sa propre solitude. En somme, Qin Guodong est un parangon de l’esprit d’universalité aujourd’hui typiquement chinois, rappelant l’érudition totale des savants européens d’antan. Que ce soit par son action transdisciplinaire, entre pratique et théorie, entre analyse historique et réflexion philosophique, entre vie d’artiste et d’universitaire, d’homme enfin, parcourant deux continents avec une acuité d’observation hors-norme et une capacité à vivre pleinement en la société de ses pairs sans rien concéder de son indépendance de créateur, Qin Guodong ne cesse d’apprendre, de comprendre, et en tant qu’artiste peintre, de surprendre.

Sa Théorie artistique est rédigée sur le mode de la réflexion continue propre aux ouvrages d’érudition chinois, mêlant une démarche artistique authentique à des analyses théoriques, le tout encapsulé dans un continuum de pensées présentées sur le principe de la personnalisation du propos, ponctuées de sentences synthétiques touchant au-delà de la production intellectuelle, à une quête spirituelle. Sur le plan purement philosophique, le “contemplisme” qui est y développé se fonde sur le grand mouvement du néo-matérialisme contemporain, pris dans son acception la plus englobante, multidimensionnelle et débouchant sur une polyvalence formelle totale. Ici tout, même la pensée, la connaissance et les expériences de vie, est “couleur”, faisceau à identifier et à saisir dans le flux de l’existence créative. On le comprend d’emblée, ce texte qui est à la fois production philosophique, ambition littéraire, poétique et spirituelle, et prolongement direct de la peinture de l’auteur, est avant tout un objet meta, tout autant mise en pratique d’une pensée que réflexion sur elle-même. Sa finalité est, dans la veine des grands penseurs-artistes de l’histoire de la Chine, de tendre vers une application concrète de l’art pictural comme langage universel, transcendant les époques, les contrées et les civilisations. Pour cela, elle cherche à intégrer en soi toutes les composantes de notre réalité, à tous niveaux et à tous égards. Ainsi l’art de Qin Guodong, somme universelle de l’infinité des éléments, matériels ou spirituels, ayant un jour agi sur l’humain et dont celui-ci se sera emparé, prouve que les arts plastiques peuvent encore être porteurs d’une ambition globale, réconciliant réalisme et transcendance. Ce récit est aussi et avant tout celui d’une grande histoire d’amour, celle que vit l’auteur avec la « couleur », entité à part entière contemplée par la figure principale de ce texte : le « Cœur ». A lui seul condensé de la complexité de cette incommensurable cosmogonie avancée par Qin Guodong, le « Cœur » apparaît à la fois comme source, acteur et objet de la quête créative de l’artiste. Et à juste titre, car une fois dépassées les nombreuses mais nécessaires strates textuelles mises en place par l’auteur, le lecteur a ici l’occasion d’explorer une authentique œuvre du Cœur, par le Cœur et pour le Cœur.
De l’Air et de l’Eau en limpides, 65 × 50 cm, 2019.<br />
La couleur est la cellule de la vie naturelle et, pour moi, la couleur est la vie.
De l’Air et de l’Eau en limpides, 65 × 50 cm, 2019.
La couleur est la cellule de la vie naturelle et, pour moi, la couleur est la vie.
Porte de Samois de la ville de Moret, 2017,73 x 54 cm<br />
Collection de la municipalité de Moret, France.<br />
La créativité artistique produit la puissance du beau.
Porte de Samois de la ville de Moret, 2017,73 x 54 cm
Collection de la municipalité de Moret, France.
La créativité artistique produit la puissance du beau.