Le Langage du Monde
Le langage de l’image comporte au même titre qu’une langue parlée sa propre grammaire, son vocabulaire, ses accents et son phrasé. Ce n’est pas qu’une affaire de rythme et de composition, de mesure ou de proportion tel que s’y arrêtent les analyses de surface mais, plus en profondeur, des briques élémentaires qui n’ont pas la même signification pour tous, des mots de textures et de couleurs dont un artiste, lorsqu’il en saisit la nature exacte, peut faire siens le volume et l’épaisseur, jusqu’à leur faire dire ce que nul autre ne pourrait, non par l’habileté d’une manipulation technique mais par la transfiguration d’un matériau brut. L’artiste véritable ne perce pas les secrets d’une matière qui lui serait indifférente et préalable, il en définit lui-même les contours et les mystères.
Léviathan – Pastel sur toile, 162×130 cm
Eva Klötgen porte cette force qui fait la magie de la Poésie lorsque d’un individu œuvrant seul dans son atelier, celle-ci fait un démiurge animant un monde. Ayant fabriqué bien des objets de nature diverse au cours de sa vie de créatrice, elle déploie ses visions en peinture, en vitrail ou en tapisserie et se consacre à l’usage du pastel. Peut-être cette matière inattendue l’aura emporté sur les autres en raison de son caractère direct, immédiat dans sa liaison à son support, pour sa familiarité qui remonte à notre enfance, – l’enfance étant sœur d’expérience et l’expérience mère de sens –, peut-être aussi parce qu’issue des prémices de l’apprentissage esthétique, elle demeure un peu inexplicablement une grande mal-connue du champ des arts graphiques.
Il faut pour appréhender les œuvres d’Eva Klötgen explorer les viscères mythologiques de l’expérience humaine à l’échelle, – et à l’épreuve –, des millénaires. Son mouvement est ascendant. Il émerge des organes cachés de la Terre et se révèle dans l’authentique appareil qui lui fait régir la destinée des hommes en même temps qu’il façonne les reliefs changeants de la planète. Mais une fois qu’il se met à jaillir, cet élan ne se contente pas de filer lointainement comme une comète. Il demeure au contraire vivace au contact de l’artiste, s’attarde auprès de nous pour le plaisir de se mêler à la perception des êtres terrestres. Il y a aujourd’hui chez trop de talentueux poètes la tentation de ne s’attacher qu’à la description de phénomènes de surface, aux apparences éphémères qui se répètent et se chevauchent. Eva Klötgen, elle, est une poétesse de la trame du réel, une tisserande manipulant le grand canevas
Mânes inconscientes – Pastel, 130×97 cm
Je t’apporte l’enfant d’une nuit d’Idumée (Mallarmé ) – Pastel sur toile, 162×130 cm
Abeille au couchant de l’Eternel – Pastel, 115×146 cm
sur lequel se nouent et se déchirent les fils composant notre réalité. Le sens de ses œuvres se dévoile en se faisant : l’artiste suit la dynamique autonome d’une vision qui se construit au fur et à mesure de son apparition, fabriquant en mystique artisan les tables de la Loi d’un univers destiné à lui échapper. On aura rarement mieux déployé sur une surface en deux dimensions l’idée totale et concrète de ce que le cosmos représentait chez les anciens grecs : une réalité dans laquelle on ne peut agir qu’à et depuis sa place, mais dont l’ampleur peut soulever l’être sensible au-dessus des contingences d’une vue partielle et tronquée. Dans son vocable visuel, Eva Klötgen use de mots qui sont ceux de l’agencement structurel du réel, de sa toute-puissance immuable mais aussi des insaisissables et perpétuelles transformations qui en déterminent la forme dans ses mutations, hors de portée de l’individu mortel mais appréhendé, au sens étymologique, par la main unique et libre de l’artiste. Créer pour elle n’est pas nécessaire. On trouve dans sa démarche une vraie notion de l’acte gratuit évoquant les vieilles figures prométhéennes. Mais en n’oubliant pas que chez Eschyle, Prométhée n’agit pas sans raison et que c’est avec toute la dévotion d’un serviteur de l’ordre et du bien qu’il donne un sens à sa subversion, contingente puisqu’elle aurait pu ne pas advenir, mais absolument jamais vaine. Ainsi que le sont les grands poèmes, l’art d’Eva Klötgen est fait de mots entiers refondés dans leur sens et leur portée, plus que d’adjectifs aidant à désigner paresseusement des impressions éphémères. Tout chez elle appelle à la permanence des révélations de l’âme, du nom des choses que l’on nomme non pour les connaître ou se les approprier mais pour en honorer la noble nature. Dans ce monde-là, on pourrait vouloir se perdre et se laisser traverser, pénétrer de ces mots nouveaux aux tonalités familières capables de nous transformer, seuls à l’écart de tout. Mais Eva Klötgen, en tant que créatrice effacée derrière sa propre réalisation, est toujours présente en quelque point de ses paysages de l’esprit, ainsi que les oiseaux sur leurs cimes chantant à l’abri de ceux qui sont au sol, laissent parfois tomber une plume rappelant au monde que quelque part au-dessus de soi, existe bel et bien une source mélodieuse de la beauté.
Thibaud Josset
Galerie Thomé
19, rue Mazarine 75006 Paris
Exposition collective
Du 1er décembre 2021 au 15 janvier 2022
Accrochage d’hiver, « Rêves, Ombres et Lumières »
Exposition personnelle
Du 6 au 30 avril 2022
Contact galerie :
+33 (0)6 37 23 84 88 & +33 (0)6 80 56 96 66
contact@galerie-thome.com
galerie-thome.com
Salon Dessin et Peinture à l’Eau – Art Capital
Du 15 au 20 février 2022
Grand Palais Ephémère
2, place Joffre 75007 Paris
peinturealeau.com
Salon international d’art contemporain (SIAC) de Marseille
Du 11 au 14 mars 2022
Palais des évènements Parc Chanot
114, Rdpt du Prado 13008 Marseille
siac-marseille.fr
Contact atelier : eva.kloetgen@hotmail.fr
Plus d’informations sur : evakloetgen.com