Univers des Arts

Galerie Laetitia
Hervé Loilier

« Mirages de la Sérénissime »

Au sommet de son art libéré par l’expérience, plus pur que jamais grâce au recul théorique et technique, encore plus viscéral qu’à ses débuts parce qu’assumé jusqu’au bout de sa charge émotive, Hervé Loilier retrouve à la galerie Laetitia sa chère Venise, comme un vieil amour se retrouve et se célèbre : avec autant de mesure que de lâcher-prise.

Tout artiste doit se méfier des lieux communs. De ceux de l’intellect comme de ceux du coeur et encore plus de ceux que l’Histoire a érigés comme emblèmes esthétiques mondiaux. La création s’y perd le plus souvent dans le banal et l’inoffensif. Et la surdose, même de ce qu’on aime le plus, n’est jamais loin. Quant à l’amour de la copie, de la répétition, de la référence et de l’hommage inhérent à la pensée classique des beaux-arts, il lui faut une sérieuse maturité pour ne pas se borner au seul exercice, qu’il soit d’apprentissage ou de recherche. Reste l’exercice de style, ce formidable jeu qui dispense par sa pratique certaines des plus élémentaires joies de la création, le plaisir de faire perdurer l’écho de quelque chose auquel on tient, de le réinventer pour soi et de le faire sien. Une certaine vanité, au sens premier, a malheureusement tendance à accompagner ce jeu, en ce qu’ayant le mérite d’affirmer une provenance, il n’indique que rarement une destination claire.

Eaux dormantes, 92 x 73 cm

Eaux dormantes, 92 x 73 cm

Il existe pourtant une autre voie, celle des artistes qui reconnaissent leur incomplétude face à un sujet qui les surpasse de son éternité. Au lieu de chercher à se grandir par la confrontation au sujet, – meilleur moyen de finir dissous dans une création qui n’est pas vraiment la sienne –, ces artistes embrassent au contraire l’humilité fondamentale que l’infini peut susciter chez qui accepte de’ n recevoir la leçon silencieuse, sans toutefois la laisser primer sur son point de vue d’individu. Le caractère mouvant, indompté du sujet traité des milliers de fois avant soi est compris et intégré comme étant le véritable sujet créatif au-delà du sujet physique. De là naissent des chefs-d’oeuvre, de ceux qui transforment la perception du réel, sans jamais que la voix de l’artiste ni celle de son sujet ne se fassent entendre directement. Dans ce processus aux arcanes mutiques, l’artiste vient se placer au coeur du monde en même temps que le monde se place au coeur de l’artiste. En revenant à Venise, ce symbole-monde qui fascine autant qu’il effraie, Hervé Loilier a conscience de se frotter à l’essence de « l’incontournable ». Incontournable parce que quiconque cherche à s’inscrire dans le fil de l’Histoire ne peut passer à côté, mais incontournable aussi car nul être malgré les siècles qui s’y sont succédés, n’en saisira jamais le véritable contour. Dans la grande cartographie millénaire des arts, Venise est un espace-temps digne des nébuleuses lointaines, des civilisations englouties et des épopées initiatiques. La lire et la chanter, c’est faire acte de déférence pieuse à l’égard de ce qui est plus grand que soi tout en affirmant haut et fort que dans le flux ininterrompu des temps, sa propre voix d’homme, frêle et périssable, ne se laissera pas étouffer aisément. Hervé Loilier signe ici l’une des plus belles expositions de sa carrière et sans doute l’une des plus intéressantes de l’année.

Thibaud Josset

Surgi des eaux, 81 x 65 cm

Surgi des eaux, 81 x 65 cm

Du 12 novembre au 17 décembre 2023
Du mercredi au dimanche 11h-13h / 15h-19h00
Galerie Laetitia
58, rue de Paris, 78100 Saint-Germain-en-Laye
+33 (0)1 30 61 42 88 / galerielaetitia@orange.fr
www.galerielaetitia.com