Le Kid Cup : réflexion sur un phénomène

Ses propriétaires mettent en scène ce personnage en ligne et dans leurs cercles de sociabilité. Lancé par deux partenaires, l’un issu du monde des médias et du divertissement, l’autre artiste plasticien, le concept Kid Cup a rapidement pris son essor grâce à la puissance des réseaux.
Entre intuition plastique géniale et systématisation marketing, que raconte ce succès des nouvelles aspirations des collectionneurs d’art, de leur goût mêlé d’appartenance communautaire et d’individualisme, de leurs modes de représentation et de distinction sociale ?
L’intuition formelle est magistrale en soi. La figuration est d’une intelligente simplicité, tant sur le plan volumique que graphique. De ce genre de simplicité qui révèle sa justesse au fur et à mesure qu’on la côtoie. Qu’il soit représenté sur des tableaux en deux dimensions ou dans l’épaisseur de statuettes en résine peinte, le Kid Cup, personnage sans visage, sans personnalité ni identité, transmet d’emblée un message : « Je ne suis personne, je suis tout le monde et surtout je suis cool. » Les acheteurs sont incités à les faire personnaliser à coup de références pop où les marques de luxe sont reines, dans la veine des portraits contemporains qui flirtent allégrement depuis une vingtaine d’année avec le placement de produit. Mais ici, contrairement à ce que l’on trouve dans le portrait trendy auquel on s’est habitué, le commanditaire en tant que personne s’efface derrière la standardisation formelle du Kid Cup : le personnage absorbe l’individualité pour n’en restituer qu’une quintessence matérielle.

Et c’est là que quelque chose de vraiment intéressant se passe : loin de s’affirmer comme une pure émanation égotique de son commanditaire, l’œuvre finale pose avec force la négation de l’individualisme. Faire exécuter un Kid Cup à son image, ou devrait-on dire à son anti-image, revient à célébrer non pas un idiome personnel, intime, mais une bulle de représentation sociale gravitant autour de son être, sorte de présence-absence au monde que ne renierait pas Bret Easton Ellis. L’humain quant à lui reste bien à l’abri, non-identifié sous son combo casquette-hoody, entouré d’objets qui eux, sont bien identifiables comme autant de diversions jetées çà et là. Ses créateurs évoquent la véritable fonction du personnage tel qu’il fut conçu à l’origine : une formalisation de « l’âme d’enfant », indéterminée et désintéressée, qui sommeille en chaque adulte intégré socialement. Malgré son apparence ultra-matérialiste, le concept Kid Cup doit peut-être son succès à cet étonnant espace de sécurité offert à ses détenteurs, qui trouvent en lui la possibilité de se raconter sans se montrer, de se montrer sans se dévoiler, de se dévoiler sans se dissoudre au regard de l’autre. D’aucuns ne verraient dans le Kid Cup qu’une prolongation du pop art capitalistique. Mais à sa façon, il peut paradoxalement être perçu comme son antithèse. Le Kid Cup en tant que personne semble se rire de l’apparat qui l’entoure, s’amusant de berner le spectateur en lui jetant de la poudre aux yeux, pendant que son propriétaire lui, non content de démontrer son appartenance à une catégorie sociale, se permet le luxe de siroter sa boisson en toute décontraction dans l’anonymat, bien conscient que nul ne pourra jamais aller le chercher où il se trouve réellement. Entre discrétion hermétique et ostentation du paraître, le Kid Cup met en lumière l’un des plus grands paradoxes de notre temps : tout en glorifiant l’exhibition matérialiste, il proclame que le seul bien véritable réside dans la soustraction de soi au regard de l’autre, dans son mystère préservé, ironiquement vainqueur de la Société.
Thibaud Josset
Pour plus d’information : www.leoetsteph.com
