Mimei SAKAMOTO
Nuit et jour
Les parcours de vie sont multiples, ceux-ci qui mènent à édifier les grandes œuvres. Certains sont cependant plus aisés que d’autres ; ardues parfois à franchir, les premières marches de la carrière artistique. Le cosmos, de la fange à la flamboyance peut être faiseur de malheurs comme de miracles. C’est d’un miracle dont nous allons parler ici.
Mimei Sakamoto marque l’esprit par l’aura qu’elle dégage, une sérénité recouvrant un bouillonnement sous la surface. Avec l’affabilité caractéristique de la culture japonaise dans son aspect le plus brillant, elle évoque sa vie sans s’appesantir sur de difficiles jalons. La lumière qui leur succède ne leur est pas indifférente mais elle ne leur doit rien non plus. Il serait bien inutile de dresser un catalogue des malheurs qui traversent la vie des hommes et des femmes depuis la nuit des temps. Et rien de ce que l’on pourra écrire sur Mimei Sakamoto à ce propos ne résonnera davantage que ses réalisations artistiques. Ayant grandi dans un milieu très modeste, elle est confrontée dans son enfance à la violence crue, douloureuse qui déchire les foyers. A l’âge adulte, c’est une rare maladie qui vient la frapper sur un chemin nouvellement tracé : une espérance de vie minuscule annoncée par les médecins que la volonté de cette femme et son destin pulvériseront. Ces jalons parmi d’autres apparaissent distinctement dans son œuvre. Mais ils ne l’emportent jamais sur l’expression de son individualité. Ainsi que la personne humaine peut être multiple et en différentes occasions revêtir des habits divers, Mimei Sakamoto manie plusieurs styles et techniques, déployant en chaque situation une ambiance unique, une touche indéfinissable qui lui est propre.
Le public japonais a été fort touché par ses séries sur l’enfance dans lesquelles le point de vue joue un rôle prépondérant, organique. La fenêtre superposée à la toile, ouverte ou fermée, y est plus qu’un symbole, un personnage portant sur son cadre tout le poids du tragique.
La princesse à la fenêtre – technique mixte sur toile avec la fenêtre amovible 909x727mm
Ses personnages d’enfants dessinent parfois sur des vitres : c’est ainsi que la jeune Mimei s’évadait de son quotidien ; ainsi que sa vocation d’artiste a pris racine, sur une simple plaque de verre embuée par l’hiver. Certaines de ses toiles jouent également avec les matériaux : une œuvre forte met en scène des enfants abusés, en souffrance pendant que des articles de journaux intégrés par collage évoquent le grand tabou de la maltraitance. Dans une optique également engagée mais plus allégorique, cette toile-installation à l’écho persistant, d’une petite fille la bouche couverte d’une fermeture-éclair, une bille coincée dans la gorge et les yeux remplacés par des robinets condamnés par du fil d’acier : « Je ne peux pas parler, je ne peux pas pleurer », peut-on y lire. Plus sobre, un beau résumé de son message se trouve dans une toile mettant en scène des mains d’enfant déposées par impression à l’encre sur le support : référence au poisson que l’on couvre d’encre après la pêche pour l’immortaliser sur le papier.
Car Mimei Sakamoto parle tout aussi bien de la culture japonaise, de certains de ses travers sociaux en même temps que de la beauté de sa vieille culture mythologique. Notamment, des sumi-e sur papier de soie entraînent dans un univers onirique rendant hommage à la beauté de certains lieux emblématiques de la culture japonaise. Fait particulièrement captivant, ses visions de paysages, entre réalité et rêve, sont toujours déclinées dans des versions de jour et des versions de nuit. Sans doute peut-on déceler dans cette démarche son sens aigu de la manière dont le point de vue, encore, transforme l’univers en même temps que le cœur du regardant. Plus généralement, l’artiste manie les symboles cachés avec une intelligence que l’on se désespère de retrouver en Occident. Jongler entre le réalisme le plus cru, l’engagement social et moral, et le sens du sacré jamais affaibli par la passion, est une chose bien rare en notre temps. Dans un registre proche, le Japon a découvert dans son atelier une série engagée à la saveur mystique traitant des victimes d’enlèvements perpétrés par la Corée du Nord dans les années 1977-1983. Parmi ces victimes, Mimei Sakamoto a choisi d’ériger la célèbre Megumi Yokota en icone quasi-religieuse, dans sa détresse nocturne mais aussi dans une épiphanie dorée recouvrant l’océan, retournant à sa terre du Japon. Il faut comprendre les ténèbres pour comprendre la lumière. Tout un pan de l’œuvre de Mimei Sakamoto en est une illustration et il serait fastidieux d’en dresser une typologie complète, allant de ses souvenirs d’enfance à sa vision de la maladie frappant les adultes, en passant par l’ambivalence de la féminité émergeant à l’adolescence, lorsque s’extirpant de sa souffrance d’enfant, la jeune femme cherche à démontrer sa sensualité tout en se sentant défiante à l’égard des hommes et, malgré elle, se sent effrayée par la sexualité.
Evoquons simplement qu’elle sait aussi se faire plus légère, lorsqu’elle se réfère à l’obsession de la bourgeoisie japonaise pour la bonne éduction de ses enfants, à son entrée en galerie et à sa découverte du milieu de l’art. Elle aime s’inspirer parfois du manga, art qu’elle connaît bien pour l’avoir pratiqué professionnellement, souvent emprunt de kawaii, sans toutefois renoncer à un art personnel en tant que tel. Au fond, Mimei Sakamoto est une faiseuse d’image avant tout. Elle aime varier les matières, par exemple en faisant fabriquer des feuilles-support faites à base de coquillages et de feuille d’or, donnant un corps ainsi qu’une fonction aux matières fusionnées de l’existence terrestre, biologique et civilisationnelle.
Exposant prochainement au Salon d’Automne à Paris, Mimei Sakamoto entretient des liens étroits avec la France et plus particulièrement avec un certain univers montmartrois. Ses hommages aux lieux emblématiques de la butte démontrent son sens de l’histoire dans ses aspects symboliques. Pour elle, la France est un lieu de libération, un lieu qui sans pour autant qu’elle ne cède jamais à l’illusion d’une image d’Epinal, représente pour elle une force, une charge émotive en tant que telle. Car Paris fut une entité salvatrice. Avec émotion, elle se souvient comme les films de la Nouvelle vague, en particulier d’Agnès Varda, à commencer par Cléo de 5 à 7, l’ont jadis marquée positivement. Mimei Sakamoto est aujourd’hui reconnue comme chanteuse au Japon où elle délivre des concerts. Parfois, lorsqu’elle est de passage à Paris, elle se rend au cabaret du Lapin Agile où, de façon tout à fait exceptionnelle en ce lieu, elle fut invitée à chanter avec une émotion qui n’est pas sans rappeler celle de la Florence de Varda, lorsque sans micro ni artifice, elle se livre tout entière au spectateur. Un enregistrement de l’une de ses apparitions, – totalement informelles –, au Lapin Agile est disponible en ligne. Signe du destin, Benjamin Legrand, fils du compositeur, était présent au Lapin ce soir-là. Un film est aujourd’hui en cours de production sur elle au Japon. Les parcours de vie en effet sont multiples, ceux-ci qui mènent à édifier les grandes œuvres. Et à réaliser des rêves.
Thibaud Josset
Jardin Chinzanso au printemps – technique mixte sur soie tissée 650x1300mm
La lune et matasaburo – technique mixte sur panneau de bois et papier washi 652x652mm
CHat noir à Montmartre – technique mixte sur toile 530x455mm