Univers des Arts

Fondation Taylor

Nili et Moreno Pincas
‘Ahavah

Disparue au début de l’année 2021 après soixante ans de carrière, Nili Pincas fait l’objet d’un émouvant hommage rendu par la Fondation Taylor. Et parce que la vie de cette sculptrice est indissociable de son union avec son époux, le peintre Moreno Pincas, l’exposition organisée place Saint-Georges prend le parti de célébrer plus que la carrière d’une artiste : la vie conjointe d’un couple de créateurs.

Née à Tel Aviv en 1942, Nili Pincas reçoit sa formation première au sein de l’Institut Avni d’art et de design, mais c’est plus tard à Paris qu’elle découvre vraiment la sculpture à l’Ecole nationale supérieure des Beaux-arts.

Georges Jeanclos, alors jeune professeur qui marquera fortement plusieurs générations d’étudiants, lui transmet certains aspects de son approche de la sculpture, en particulier sa façon de traiter les terres grises qui lui tenaient à cœur et qui chez Nili Pincas auront été un important support de réflexion. Surtout, sa préoccupation de toujours : exprimer d’un seul tenant quelque chose d’indéfinissable ayant trait à l’humain, au divin, au réel et au spirituel tout ensemble, sans rupture ni hiérarchie, avec peut-être une dose assumée de confusion, orchestrée pour masquer l’originalité d’un propos à la fois « terre à terre » et porté par un irrépressible sens du sacré.

A ce sujet, il faut rappeler que Georges Jeanclos fit partie d’une génération de Français juifs marqués par l’horreur, qui dans les temps de l’après-guerre, portés par un recul sur l’existence mais aussi par un esprit d’ouverture intellectuelle, furent défenseurs d’une tolérance sincère, non de repli sur soi. Jeanclos était animé d’une pensée œcuménique teintée de théosophie, attiré qu’il était par le Christianisme et le Nouveau Testament. D’autres cultures spirituelles l’intéressèrent, notamment les mystères étrusques, mais aucune autant que la pensée chrétienne qui lui inspira certaines de ses plus belles œuvres. Le portail de l’église Saint Ayoul à Provins en est une précieuse trace. Que Nili Pincas ait trouvé auprès de lui l’enseignement dont elle avait besoin pour aller de l’avant dans sa propre quête ne fait aucun doute. Comme lui, son attachement aux terres cuites relève autant d’un parti pris formel, choix arbitraire d’une créatrice contemporaine, que d’un chemin parcouru parmi les grandes cultures historiques de la Méditerranée. On y décèle un rapport intime entretenu avec le terrestre dans sa dimension « cadre », ainsi que dirait Dumézil, et le désir de rendre palpable la matière des civilisations, avec leurs réalités et leurs mythes. Chez elle, pas d’opposition, pas de conflit, pas d’identité-barrière, mais la représentation œuvre après œuvre de réalités universelles.

Nili Pincas : Grand Ange, 70 x 15 x 15 cm

Nili Pincas : Grand Ange, 70 x 15 x 15 cm

Nili Pincas : Grande Menine, 73 x 43 x 24 cm

Nili Pincas : Grande Menine, 73 x 43 x 24 cm

Lors de ses études à l’Institut Avni, Nili avait fait la rencontre d’un jeune artiste nommé Moreno Pincas avec qui elle partagera sa vie jusqu’à la fin. Né en 1936, Pincas est Bulgare de naissance et nourri d’une culture transmise au long d’une lignée issue de l’Espagne des Rois catholiques. Primé dès sa sortie de l’Institut Avni en 1960, il reçoit plusieurs distinctions israéliennes. Une bourse décernée par la Fondation Amérique-Israël pour la culture, lui permet de venir étudier au Beaux-arts de Paris. Le couple ainsi installé en France ne cessera plus jamais de travailler et d’exposer ensemble. Il faut pour comprendre la peinture de Moreno Pincas s’attarder sur le fait multiculturel des origines et du parcours certes, mais surtout sur la façon dont son regard a fait le tri dans le foisonnement des peintures ayant cours dans les années 1960. Loin d’être déterminé, son style s’est affirmé comme un phénomène à part. On l’a parfois caractérisé par son attrait pour la complexité des mises en scène et la multiplication des sujets et éléments, mais une façon judicieuse de l’aborder est plutôt de considérer ce dont il s’est au contraire débarrassé pour constituer sa personnalité. Un fond d’expressionnisme est-européen sans le fatalisme slave, le sens de la grande peinture des Maîtres occidentaux sans le carcan des références qui se répètent ou au contraire se fuient, l’acceptation de la disgrâce sans la complaisance dans la laideur, l’amour de l’immanent sans la vacuité du profane.

Le terme « amour » si important dans le judéo-christianisme et pouvant, comme toujours chez les civilisations antiques, revêtir plusieurs dimensions et fonctions, se dit en général ‘ahavah en hébreux. Voir ces deux artistes pour la dernière fois réunis dans une exposition conjointe, au sein de la Fondation Taylor dont l’action et l’engagement fondateur ajoutent à l’émotion de ce moment, est l’occasion de redécouvrir deux univers aux sensibilités indissociables, aux enjeux partagés. Et peut-être de redonner sens à des idées abîmées par trop de mauvais usages.

Thibaud Josset

Moreno Pincas : Des Hommes et des bêtes, 130 x 95 cm

Moreno Pincas : Des Hommes et des bêtes, 130 x 95 cm

Crédit photo : Jean-Louis Losi

Du 30 mars au 22 avril 2023
Fondation Taylor
1, rue La Bruyère, 75009 Paris
+33(0)1 48 74 85 24 / contact@taylor.fr
www.taylor.fr
crédit photo : Jean-Louis Losi