Raija Jokinen
Dans les entrailles de l’être universel
Force of nature (Regard d’artiste 2022) – ©Photo Philippe Robin – Domaine de Trevarez (29520 Saint-Goazec)
Artiste plasticienne finlandaise manipulant les textiles dans une optique transdisciplinaire, autant sculptrice que peintre et faiseuse d’installations in situ, Raija Jokinen fascine depuis des années les observateurs par sa manière unique de « donner corps » à son univers mental.
Etrangement définie par la plupart des médias comme une artiste peintre, Raija Jokinen s’avère être avant tout une artiste de la texture. Entendons par-là que la sculpture parlant d’abord de volume et la peinture de couleur, il se trouve une originalité chez cette créatrice qui, tout en usant de techniques appartenant à des disciplines très variées des Beaux-arts traditionnels, conçoit son art sur un matériau textile, le lin, qui se démarque dans le champ des matières d’usage habituel, par le fait qu’il n’est fondamentalement pas pourvu de forme, qu’il se déploie avant tout en deux dimensions
s’il n’est pas assemblé en épaisseur, qu’il est souple à l’extrême opposé de tout matériau rigide communément exploité en sculpture, autrement dit, par le fait qu’il s’agit d’un matériau résumant à lui seul la notion de plasticité et dont Raija Jokinen obtient quelque chose qui ne se trouve aucunement dans sa définition initiale, qui dépasse ses qualités intrinsèques. Trop de commentateurs auront réduit le travail de cette créatrice à une question de fabrication artisanale, de production manuelle ayant trait à de la couture réhaussée, ou peut-être pour certains, anoblie par l’intervention de méthodes empruntées aux Beaux-arts. C’est pourtant à la base de sa création que l’on trouve son essence artistique : elle manipule un tissu caractérisé par sa texture, ainsi que l’est le monde perçu à travers nos sens. Ne parle-t-on pas volontiers de « tissu » pour qualifier la réalité dans laquelle nous évoluons lorsque nous voulons rendre compte de sa dimension tangible, et de « trame » ou de « texture » de façon figurée lorsque nous cherchons à décrire un objet ou un paysage que l’on peine à appréhender avec nos sens ? Même si la forme finale recherchée par Raija Jokinen est incontestablement contemporaine, on doit pour en prendre la mesure reconnaître en elle la puissance primitive de l’art de la broderie, de la tapisserie médiévale et antique, celle du suaire de la Pénélope homérique et celle des Moires mythiques. D’autres l’auront souvent appréhendé à travers une question conceptuelle, sans doute trop intellectualisée pour vraiment toucher son sujet.
Biological message (Regard d’artiste 2022)
©Photo Philippe Robin – Domaine de Trevarez (29520 Saint-Goazec)
Les liens établis entre le corps humain avec ses fonctions vitales mises en scène d’une part, et le monde végétal d’autre part, ne doivent pas s’arrêter au simple rapprochement entre l’homme et la nature, au jeu de la confusion des règnes ou au message anthropologique et environnemental. Il y a beaucoup plus chez Raija Jokinen en qui l’on perçoit un sens profond de la forme poétique. Au domaine de Trévarez, ses œuvres s’épanouissent dans une existence végétale dont la véritable force réside dans le réseau de racines qui les relie. A l’inverse d’Atropos coupant sans remords les fils de la vie, Raija Jokinen offre le destin à ses créations en révélant les entrelacs cachés qui permettent l’existence en ce monde, et en rendant palpable les fondations indéfectibles de la vitalité universelle, personnifiant dans ses œuvres plus qu’une idée de l’être abstrait, un chant dédié à la beauté de l’être physique, organique, au sein duquel se déploie peut-être, notre réalité.