Remi Planche
« le visage du monde »
Remi Planche s’apprête à fêter ses trente ans en même temps que ses dix années de carrière en tant que peintre professionnel. Pour lui qui accéda à la reconnaissance si subitement au début des années 2010, le temps a passé avec l’intensité d’une course de fond.
Avec une moyenne de trois expositions personnelles par an, Rémi Planche arrive au terme d’une décade qui a réglé leur compte, une à une, aux interrogations le concernant. Si nombre d’observateurs avait identifié en lui la marque d’un grand artiste, son surgissement à vingt ans sur la scène publique avait aussi fait couler de l’encre amère de la part de certains acteurs du marché de l’art, dépassés qu’ils étaient par un phénomène qu’ils ne comprenaient pas, presqu’une anomalie au lendemain de la crise financière ; elle aussi dont ils peinaient à mesurer les conséquences à long terme sur les milieux de la création.
Pour comprendre l’impact qu’eut son apparition il y a dix ans, il faut la replacer dans le contexte des suites de la crise de 2008. D’un côté, le monde de la Figuration française voyait bon nombre de ses piliers, – pour certains vieillissants –, perdre un à un leurs privilèges, emportés par l’affaiblissement du « système galeries » en place depuis l’après-guerre, système dont les bases avaient somme toute peu évolué. De l’autre, le grand marché de l’art contemporain dans sa globalité faisait face à un ralentissement soudain des flux conséquents auxquels il s’était habitué. Le résultat de cette transition qui précéda la reprise de 2012 fut paradoxal : le ralentissement du marché haut, dominé par l’abstrait, laissait une place nouvelle à la Figuration auparavant cantonnée au marché intermédiaire, mais les grands artistes figuratifs qui avaient tenu leur cap contre vents et marées, parfois durant près d’un demi-siècle face au marché institutionnel, ne purent en profiter en raison de leur dépendance à l’égard d’un petit nombre de galeries fragilisées. Même s’il faut nuancer cette idée, 2012 marqua bien le retour des arts figuratifs sur le devant de la scène, certes, mais au profit d’une nouvelle génération d’artistes ayant digéré les grandes oppositions de l’art contemporain et se situant loin des préoccupations de leurs aînés, qui avaient pourtant mené l’essentiel de la bataille avant eux.
Dans ce paysage qui se dessine au début des années 2010, Remi Planche apparaît à la fois comme une parfaite synthèse de ce vers quoi le public et le marché allaient tendre, et comme un phénomène par essence imprévisible, précurseur d’une tendance figurative alors balbutiante qui n’a cessé de s’affirmer depuis.
Symbiose IV, 100 x130 cm, huile 2018
Il convient de souligner que malgré l’extrême technicité de son travail et le respect dont il jouit dans le milieu des Beaux-arts dits classiques, Remi Planche est un pur autodidacte dont la précocité a sans doute renforcé l’effet de surprise. Personnalité qui se démarque par sa sensibilité, il présente dans sa jeunesse des prédispositions nombreuses en musique, en littérature et en poésie, et évidemment en dessin et peinture. Interrogé sur la façon dont la peinture s’est imposée à ses yeux comme son domaine de choix, il explique : “La peinture est un média et il eut été possible que j’en adopte un autre. Le piano tient toujours une place très importante dans mon quotidien et je n’ai jamais cessé de composer. Mais lorsque j’étais enfant, à cette époque où l’esprit est une formidable machine à absorber sans jugement ni retenue ce qui se présente à nos sens, j’eus une révélation en découvrant le travail de Feodor Tamarsky, un peintre russe, par ailleurs pratiquant d’arts martiaux. D’abord découvert dans un magazine spécialisé, j’eus ensuite l’occasion de voir ses œuvres exposées à Paris. Une question a tout de suite germé : comment transcrire une émotion d’un tel niveau, restituer de façon tangible le ressenti que je venais de recevoir ? Les sculptures de Christophe Charbonnel m’ont aussi beaucoup marqué.”
En observant le travail de ces deux artistes cités par Rémi Planche, on prend tout de suite conscience du dénominateur commun qui les lie au sien : dans tous les cas, on a affaire à des créateurs dont la production se déploie quelque part à la jonction entre un propos technique et formaliste, et une pulsion de donner à voir des corps, des visages dans ce qu’ils ont d’intrinsèquement majestueux, indépassables dans leur beauté naturelle, qui se suffit à elle-même et ne demande ni artifice ni justification pour exprimer sa présence.
Car si la teneur de son travail le classe d’emblée dans la catégorie des réalistes, il est à noter que Rémi Planche semble l’être surtout par amour de la sincérité offerte par le concret. Evoquant ses années d’études d’Histoire, il précise : “Je ne me serais pas orienté vers la recherche universitaire. Ce qui m’intéressait était le Patrimoine matériel, son contact et sa conservation.” Sa pensée retombe toujours sur le réel comme objet palpable, disponible aux sens.
Sa technique, si particulière, résume ce sentiment. A l’époque où il découvrait les usages de la peinture à l’huile, un coup de crayon donné par inadvertance dans la peinture y creuse un sillon. De cet accident découle son mode opératoire. N’appréciant pas l’usage du pinceau qu’il juge trop froid, il travaille avec ses doigts afin de demeurer au contact de la matière et de la toile. Ses mains sont celles d’un sculpteur : par ce rapport de force, – parfois douloureux –, il transmet son énergie sans filtre à l’œuvre. Parlant de l’esthétique inhérente à la technique, il appuie : “Je déteste que l’on puisse voir la façon dont l’œuvre a été fabriquée, à travers les traces laissées par les outils. Plus généralement, je n’apprécie pas la perception des couches superposées, de l’épaisseur. En un sens, je cherche un rendu esthétique indépendant des conditions de réalisation techniques.” Et il est vrai que son rapport à la technique-esthétique est ambivalent : brutalement directe vis-à-vis de la matière, sa fin réside dans l’extrême finesse de son rendu, de ses camaïeux de couleurs subtiles qui se moquent de la chimie autant que du geste. Un bon résumé de ce caractère se trouve dans le fait que contrairement à ce que les spectateurs croient souvent de prime abord, il n’utilise pas de glacis : sa peinture n’est que mate mais son habileté à jouer sur la profondeur du grattage offre à l’œil la même sensation.
Ceci nous renvoie aussi au contexte du début des années 2010. Il faut se souvenir qu’à l’époque produire de la peinture en épaisseur généreusement vernie faisait partie du lot d’une certaine mode figurative.
Si cette mode a pu produire de très belles choses en paysage comme en portrait, les années 2000 avaient été alourdies d’un poids de matière superflue au propos de nombreux plasticiens. Là encore, l’arrivée de Rémi Planche et de sa « dentelle d’huile », avait signifié le passage à une nouveauté débarrassée de préoccupations esthétiques trop marquées. A vingt ans, il proclamait que l’on pouvait faire de la peinture sans faire du “peint” et écrire une image en deux dimensions sans faire du “graphique”.
Pour ce qui est de ses thèmes de prédilection, portraits et mains qui l’ont fait connaître, il faut enfin noter qu’ils ont d’emblée fait figure de manifeste aux yeux d’un public à la recherche d’un nouveau souffle figuratif. Evoquant ses choix, Rémi Planche explique : “Je n’aurais pas pu me satisfaire de l’abstrait ni du conceptuel car ils tendent à éloigner de soi à mesure qu’ils nous éloignent du réel. Créer, c’est être soi. Et il n’y a pas de soi véritable sans réel véritable. D’autres approches existent que je respecte, mais mon point de vue est là. Les jeux formels ne m’intéressent pas s’ils ne sont pas au service d’une interprétation du réel.”
Parlant de son goût pour le portrait, humain ou animal, il développe : “J’ai commencé par représenter des corps pour le côté brut du vivant. Depuis l’enfance, j’ai côtoyé des hommes forts, âgés, dans lesquels la sagesse et la vie transparaissaient dans les traits, les rides, l’expression. Les mains et les visages sont des aspects de l’humain qui expriment quelque chose que l’art peut interpréter et transmettre à son tour, et dont l’artiste en tant qu’humain est lui-même acteur. Sauf exception, je ne peins pas de paysage car je me sens battu à plates coutures par la nature comme ensemble. Les choses lointaines, diffuses ou inertes ne m’intéressent pas. De même que les choses qui sont déjà le fruit d’une production humaine, objets et architectures, qui en quelque sorte se suffisent à elles-mêmes.”
En conversant avec Rémi Planche, on se rend compte que la clef de son succès réside peut-être dans le fait que sa réflexion a d’emblée été tournée vers la grande question de la création en tant que principe de vie et d’existence au monde. Tout autre problème posé par les aléas de l’histoire des arts ou par les contingences humaines n’a pas sa place dans un processus qui doit pour être complet, être affranchi du superflu. Concluant sur la nécessaire intimité de la création, il ajoute : “L’art doit être égoïste. Créer doit se faire en soi, pour soi, surtout pas pour quelqu’un d’autre. En étant soi, on est humain, donc faillible. Lorsque l’on pense actuellement aux dites intelligences artificielles, on pense à une nouvelle forme de perfection dans la création. Mais la création sans faillibilité est-elle encore de la création ? Une création humaine est imparfaite par essence. C’est ce qui restera de l’humain. Je sais qu’un tableau est fini quand il n’y a pas d’erreur majeure qui gêne mon regard, mais je n’essaie surtout pas de gommer la multitude des imperfections minimes. L’irrégularité discrète est la clef d’une création humaine aboutie mais non déshumanisée dans son aboutissement. Mais pour tendre vers cela, il faut assumer que seul son regard compte.”
Rémi Planche travaille aujourd’hui beaucoup sur le corps féminin qui devrait composer une part importante de son travail pour l’année qui vient. Au-delà de l’intérêt unanime que suscite sa production picturale, il faut souligner le haut degré d’adéquation que l’on remarque entre son être profond, son intellect, son corps sans doute aussi, – ses mains portant les stigmates de sa méthode –, ses envies et son rapport au monde. Souvent cité en exemple pour des raisons techniques ou esthétiques, il convient d’apprécier le fait que préalablement se tient un homme entier, fidèle à lui-même et grâce à cela, plus encore fidèle à notre monde.
Thibaud Josset
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Confrontation III – 180 x160 cm huile 2021
Cheval de biais 120x90cm huile 2023