Univers des Arts

Salons Parisiens

« Les nouveaux pouvoirs »

De tout temps, l’art a suscité un engouement tel que les plus grands de ce monde ont acquis, commandé et parfois dérobé les plus extraordinaires chefs-d’œuvre afin de grandir leur aura ou devenir un cosmétique remarquable pour assouplir leur image, atteindre la grâce des hommes et graver dans le marbre de la postérité les lauriers d’une reconnaissance éternelle.

Hong Kong Art Basel 2015

Hong Kong Art Basel 2015

Et, de tout temps, les artistes ont cherché la proximité des hommes de pouvoirs pour obtenir des faveurs, de la notoriété et surtout pouvoir vivre de leur art. Donnant donnant. Cette sphère d’échange n’a pas évolué d’un iota à ce jour, nous retrouvons toujours les mêmes protagonistes, les mêmes envies et les multiples subterfuges pour arriver à ses fins.

Pour accueillir un éventail de pulsions artistiques singulières du moment et brasser artistes et amateurs, un écrin de renom et adéquat était souhaitable afin d’ouvrir une vitrine où la concurrence ferait la différence. Les salons étaient nés et nous allions en déguster à toutes les sauces. Dès la fin du xixe siècle, des institutions telles le Salon des artistes français ou la Société nationale des beaux-arts (SNBA) ou plus récemment, en 1954, le Salon du dessin et de la peinture à l’eau sans omettre l’ouverture en 1956 de Comparaisons ont gravi les échelons jusqu’à devenir des instruments de vulgarisation de nos successives contemporanéités. Dans cette veine, les salons locaux ont proliféré sur tout le territoire pour honorer les gestes artistiques régionaux et parfois très confidentiels.

Paris, Ville Lumière, possède de nombreux musées et galeries et dans la foulée une kyrielle d’événements culturels propulsant l’art sous toutes ses formes devant les yeux ébahis d’un public assoiffé de culture. Dans cette demande incessante des amateurs, naissait en 2006 le regroupement des salons historiques tels Comparaisons, le Salon du dessin de la peinture à l’eau, les Artistes français et les Artistes indépendants sous la bannière désormais connue d’Art Capital et proposant l’exposition de près de deux mille artistes sous la grande nef de ce magnifique Grand Palais. Restons groupés pour exister. La Société nationale des beaux-arts, qui intégrait ce collège, fait scission en 2012 et donc cavalier seul en installant ses consécutives éditions au Carrousel dans le palais du Louvre.

Dans ces démonstrations et étalages de l’art, depuis 1974, la Foire internationale d’art contemporain (FIAC) s’est offert une place de choix au Quai Branly mais surtout au Grand Palais. Un autre événement créé en 1997, Paris Photo, ouvrait des expositions internationales toujours d’actualité. Ces deux entités détenues jusqu’à présent par RX France, filiale du groupe RELX Group, deviennent un plat aux effluves d’avenir non négligeable pour qui sait parler aux pouvoirs décisionnaires du ministère de la Culture.

Art 42 Basel 2012

Art 42 Basel 2012

En 2022, la scène se transforme afin que le spectacle se poursuive. En effet, la RMN-GP (Réunion des musées nationaux – Grand Palais) lance un appel d’offres. Le postulat ? Faire de Paris, une vitrine au rayonnement mondial par l’organisation de gigantesques foires de l’art où galeries et artistes seront les bardes d’un hymne contemporain. Depuis 1917, dans la ville de Bâle sur les bords du Rhin en Suisse, Art Basel, professionnel des foires de l’art, a déjà démontré son savoir-faire en ouvrant des chapelles, que dis-je, des cathédrales de l’art contemporain à Bâle, Miami et Hong Kong, son appétence n’a pas de demi-mesure. Art Basel est le fleuron de MCH Group, coté à la SIX Swiss Exchange et James Murdoch, fils du magnat Rupert Murdoch, est devenu l’actionnaire principal de cette organisation. Désormais, Art Basel doit grandir et développer ses activités que sont les supermarchés de l’art contemporain, autant d’ailleurs que toutes autres formes d’expositions telle, en 2022, la version joaillerie et horlogerie qui existait sous la dénomination de Baselworld et reste en pointillé depuis l’effet covid. Pour perdurer et être le numéro un, il faut avoir le don d’ubiquité et ouvrir le maximum de places dans le monde. Désormais, Art Basel, choisi par la RMN-GP, devient l’acteur principal tenant dans sa main experte la baguette d’un chef d’orchestre afin de jouer une symphonie artistique dans le respect de la nouvelle charte. En octobre 2023, Paris + par Art Basel proposera un étalage d’art digne des événements de Miami, Bâle ou Hong Kong sous le phare de la tour Eiffel. Le Grand Palais Éphémère deviendra le dôme abritant les plus grandes galeries mondiales assorties d’expositions implantées dans les jardins des Tuileries, le palais d’Iéna, le parvis de l’Institut de France ou encore la place Vendôme.

La fabrique des courants d’art passe également par les convoitises de grands mécènes tels Bernard Arnault et François Pinault. Dans une incessante compétition, ils donnent des avis raisonnés souvent matérialisés par des actes d’achats offrant ainsi du lustre aux différents musées et fondations en leur possession. Pour une immersion totale dans les sphères de l’art, ils possèdent, entre autres, dans leurs boîtes à outils, les prestigieuses maisons de ventes telles Christie’s pour François Pinault, et Phillips, plus spécialisée dans l’art moderne, pour Bernard Arnault.

Salon Paris Photo 2016

Salon Paris Photo 2016

Si je résume, les acteurs sont nombreux et les nouveaux arrivants adoubés par l’État français auront les coudées franches pour occuper le pavé et donner la mesure de ce qu’ils attendent. N’oublions pas que le Grand Palais, siège des expositions de prestige, rouvrira en 2024 après sa restructuration et les incontournables Jeux olympiques. Le top départ sera donc lancé pour produire des foires de l’art qui donneront accès à des espaces de représentations de nos galeries sur le modèle de la FIAC, mais désormais tenus d’une main de maître par Art Basel. Après la restauration du Grand Palais, chacun tiendra à rentabiliser au plus vite ce grand monument de fer et de verre. Et ceux qui voudront s’octroyer une saison nouvelle en ce lieu auront subséquemment reconsidéré les indispensables contributions d’accès. Même si Paris reste une vitrine incontournable de l’art sous toutes ses formes, les nouvelles pratiques atteindront immanquablement les centres culturels des grandes villes de nos provinces.

 

Ce foisonnement de foires implantées sur la place parisienne peut conduire à une percussion des événements et professer le désintéressement des amateurs déjà très sollicités. Depuis sa création, le grand rassemblement d’Art Capital dresse son pavillon au mois de février pour signaler sa nouvelle session. Toutes conjectures peuvent être source de réflexion, mais incontestablement prévisionnelles d’ajustements. Même si le concept est différent, est-ce qu’Art Basel ne louchera pas sur une gestion possible d’Art Capital ? Gérer cette entité serait la main mise sur des valeurs qui pourraient intégrer Art Basel Paris, nourrir des galeries et fournir aux artistes une passerelle vers les foires mondiales prometteuses de clients inédits. Remémorons-nous les salons qui ont fait les beaux jours d’une époque pas si lointaine, comme Le Salon international d’art libre, le Salon des surindépendants qui exposait Kandinsky en 1933 ou Soulages en 1947, le Cercle Volney avec Dubuffet en 1954, le Salon de la jeune peinture et bien d’autres depuis disparus ou se délitant lentement. Les artistes, eux, iront où le bonheur d’exister est possible.

L’ouverture des futures manifestations en des lieux prestigieux demandera une autonomie autant financière que logistique. Les subventions d’État se raréfient ou bien prêtent à tergiversations ou désaccords. La puissance d’Art Basel saurait-elle pallier les carences rencontrées par certains salons ? À moins que l’historicité des institutions reste une chasse gardée contrôlée par le ministère de la Culture au même titre que les symboles patrimoniaux.

Nous ne connaissons pas, bien évidemment, les cartes distribuées aux plus grands acteurs de nos gardiens de l’art. Mais il est évident que dans cette tournoyante lessiveuse malaxant des fonds importants, les accords passés avec les plus grands sont soumis aux lois d’un marché aux arcanes insondables. Calculateur et opportuniste, l’État consent à ouvrir le cœur de ses temples dans l’espoir d’un dépoussiérage de ses façades historiques. Par ces échanges, il sera donné un blanc-seing à ceux qui sauront approcher la République tout en contribuant par un billet de secours pour la conservation des trésors du patrimoine.

De tout temps, l’art a eu besoin de mécènes, d’associations d’artistes ou de puissantes organisations pour exister, subsister et s’exporter. Les marchands d’art tels Durand-Ruel ou Kahnweiler partaient bien commercer aux États-Unis en leur temps. Les nouveaux convoyeurs de l’art contemporain s’imposent par des rassemblements de tailles exceptionnelles engendrant également une interconnexion mondiale favorisant la distribution à un plus large public. Dans cette folie des grandeurs, les salons traditionnels devront affiner leur spécificité afin d’être pris en considération, dépasser leurs acquis et comprendre que l’entre-soi est confortable, mais pas protecteur. La créativité et l’audace ainsi que la maîtrise de la communication par l’emploi des vecteurs médiatiques actuels fait et sera le pouvoir de domination du marché.

Je pense qu’il y a de la place pour tout le monde sur le pavé parisien et que les particularités peuvent coexister et trouver leur public. D’ores et déjà, goûtons ces ambiances artistiques à venir, tout en reflet de notre époque, s’inscrivant dès à présent sur nos agendas. Aiguisons nos yeux aux nombreuses propositions mondiales et ajustons nos réflexions afin de s’ouvrir encore plus au monde de l’art sans cesse en mutation.

Régis Broustet

Fiac Paris 2013

Fiac Paris 2013