SAVINA GILLÈS DE PÉLICHY sculpter le vivant

Savina Gillès de Pélichy

Sculpter le vivant

Dans son art comme dans sa vie, Savina Gillès de Pélichy est une femme aux multiples talents dont la curiosité s’accompagne d’une capacité perpétuelle à se métamorphoser et à se réinventer. Initialement formée au monde médical en Belgique, elle s’intègre ensuite naturellement dans différents milieux tels que la haute-couture, les médias, la communication, la culture et la politique. À l’instar de son parcours professionnel, sa pratique artistique s’adapte de façon permanente à ses réflexions sur le monde qui l’entoure et qui l’habite. Artiste protéiforme et autodidacte, elle passe instinctivement d’une peinture vivante, débordante de couleurs et de matière, à la sculpture, qui s’impose comme une suite logique à la poursuite de son cheminement artistique. 

Savina Gillès de Pélichy puise son inspiration dans la nature et son art incarne une sensibilité particulière pour le monde animal, notamment pour les animaux en voie de disparition, rares ou disparus. Sous ses doigts, tout un bestiaire prend et reprend vie, comme un retour à une nature originelle, plus sincère, innocente et moins artificielle. Dans une quête rousseauiste vers la simplicité et la pureté, ses créations incarnent la beauté d’un paradis perdu dans lequel l’homme et la nature vivent en harmonie. En réponse aux transformations irréversibles du monde, elle façonne la matière pour donner vie au vivant, et sa technique, véritable mise en abyme de l’acte de création, s’attache à modeler le squelette avant d’ajouter de la matière pour insuffler au sujet une expression de vitalité débordante : un dauphin surgissant des vagues, un lièvre aux aguets, un ornithorynque remontant la rivière.

Dragon des abysses (échelle 1/1), 2/8
Fonderie Sara Degroeve, L : 28 cm, H : 45 cm

Pour autant, cette quête artistique est loin d’être utopique et l’artiste s’engage à restituer le monde naturel dans sa plus stricte réalité. S’inscrivant dans une démarche scientifique, chacune de ses œuvres fait l’objet d’un vaste travail de recherche et d’une enquête minutieuse et documentée par le biais d’une collecte d’informations et d’archives. Ce souci d’exactitude se traduit par une méticuleuse dissection du réel, dans un effort constant d’analyse et de détachement des stéréotypes. Sculpture emblématique de son œuvre, le dodo est une restitution fidèle de l’animal disparu, dont l’essence originelle est respectée jusque dans la posture et l’attitude retracées par le croisement de sources plurielles ; les dessins des premiers explorateurs de l’île Maurice au XVIème siècle, l’exemplaire en taxidermie exposé au Muséum d’Histoire Naturelle de Paris, ou encore les moulages d’empreintes conservés au Muséum d’Histoire Naturelle de l’Université d’Oxford.

En donnant à voir la nature dans toute sa réalité, Savina Gillès de Pélichy exprime l’ambigüité du vivant, avec ses parts de beauté et de difformité, de douceur et de cruauté, de joie et de souffrance. Elle transpose dans son art le caractère paradoxal et cyclique de l’univers, à la fois source intense et fertile de création, et porteur d’une inexorable puissance de destruction qui condamne tout être à s’épanouir avant de disparaître. Chacune de ses œuvres porte les germes de cette beauté éblouissante et de cette violence extrême, c’est le cas du dragon des abysses, un animal monstrueux pourtant capable de produire de la lumière au plus profond des entrailles de la terre, du bec-en-sabot du Nil, un oiseau spectaculaire dont la naissance s’incarne par un acte fratricide, ou encore du toucan, un être aux couleurs chatoyantes devenu l’emblème de la cruauté de l’homme envers la nature et voué à s’éteindre définitivement. En rendant visible ce qui a disparu, ce qui est méconnu et ce qui est voué à disparaître, l’artiste redonne une place dans l’univers aux richesses de la nature tout en interrogeant la relation de l’homme au vivant et à sa propre finitude.

Vicky Baudé

Décembre
le dodo sera mis en vente à la
salle de vente Rops au profit de l’ASBL Oxybullle
Avenue d’Ecolys 2