Univers des Arts

Asiart gallery

Sen Shombit

Rares sont les ascensions fulgurantes d’artistes qui de nos jours parviennent à faire l’unanimité parmi les observateurs du marché. L’histoire récente de Somsak Hanumas est frappante par la beauté de son récit certes, mais aussi désarçonnante par sa simplicité, le naturel dirait-on avec lequel sa peinture séduit sans jamais heurter, sans en appeler à de vaines querelles de chapelle. Dans l’extraordinaire complexité technique et visuelle de ses réalisations, quelque part se trouve l’évidence indiscutable que recherche au fond de soi tout amateur d’art.
Son histoire fait actuellement l’objet d’un nombre croissant de commentaires, de publications et circule largement dans le monde des collectionneurs. L’image d’un jeune artiste autodidacte, informaticien de formation, ayant tout risqué pour se consacrer corps et âme à sa passion, seul dans un minuscule atelier de Bangkok. Le terme d’atelier étant presque impropre à désigner les neuf mètres carrés qui accueillirent naguère ses premiers travaux,
celui d’artiste n’est quant à lui pas galvaudé en sa nature. Somsak Hanumas apprend à peindre par l’expérimentation constante, en jonglant avec les possibilités offertes par la matière autant qu’avec les contraintes de son environnement. Du manque d’espace au problème apparemment insoluble du taux d’hygrométrie régnant à Bangkok, rendant le séchage des toiles extrêmement long, même en optant pour l’acrylique,
The Limit to your, acrylique et laque sur toile, 200 x 120 cm

The Limit to your, acrylique et laque sur toile, 200 x 120 cm

Somsak Hanumas fait avec ce que la réalité lui offre. Cette approche très physique du métier, à la fois en tant que corps et en tant que science, marquée par une progression méthodique et constante, n’est sans doute pas étrangère à la façon bien particulière dont Somsak Hanumas a construit son oeuvre. L’ayant fait évoluer au fil du temps de plus en plus loin de la Figuration jusqu’à arriver à ces évocations visuelles majeures que nous lui connaissons aujourd’hui, on ressent au contact de son travail, et ceci quelle que soit sa période de réalisation et son thème, un amour incompressible pour les motifs de notre monde. En fait, plutôt que de parler d’éloignement progressif vis-à-vis du figuratif, de déstructuration ou de transformation comme il est communément d’usage dans la glose artistique, il conviendrait mieux de parler chez Somsak Hanumas d’approfondissement. Un peu comme si préalablement à ses compositions faites de matières et de couleurs se trouvait une plongée dans les entrailles de la Matière et de la Couleur en tant que phénomènes, n’appartenant ni tout à fait à la nature, ni tout à fait à l’homme qui l’observe, ni même à l’intellect qui s’en empare. A ce propos, une phrase de l’artiste a de quoi résonner chez qui s’est mis en quête de sens à travers la peinture : «Là où s’arrêtent les formes débutent les couleurs, là où s’arrête le regard débute l’Art.» Au-delà de l’idée générale, celle d’une dualité, peut-être d’une complémentarité, entre le monde et l’oeuvre, entre la perception et la création, cette phrase illustre le fait que Somsak Hanumas pense son art avant tout comme une continuité, là où tant de créateurs contemporains tendent à penser en termes de rupture, de choc. En poursuivant notre périple dans sa production, il apparaît qu’il fait partie de ces rares artistes à faire sauter le verrou qui subsiste le plus souvent entre la chose et sa représentation, entre la chimie et l’émotion, entre l’idée même et son déploiement sur un banal support en deux dimensions. Précisant sa façon d’aborder ses objectifs de création : «J’accorde autant d’importance à la toile qu’à la personne qui la regarde.» Enfin une parole de sincérité et d’ouverture à l’autre en un monde où tant d’artistes semblent présupposer, parfois sans même s’en rendre compte, un combat sourd entre eux et le monde, entre l’oeuvre et son public. Tout chez lui est unité. Du point de vue de la technique et de la composition,
Somsak Hanumas explore un chemin qui fut défriché jadis par les avant-gardes qui ont mené la figuration dans la contemporanéité, avec un degré de raffinement quasi-inédit. Son travail méthodique ne laisse pas de place à l’improvisation ni au superflu sans toutefois exclure le ludique qui demeure un puissant moteur pour l’artiste. Quatre passages minimum, entendons par là quatre couches structurelles sans compter les ajustements et les finitions, lui sont nécessaires pour donner vie à ces importantes accumulations d’acrylique et de laque. Lorsqu’il se trouve à l’amorce d’une toile, il sait exactement où il compte se rendre, au point près. Les lignes, les points, les attaques de couleur et leur ordonnancement sur le plan, couche après couche, finissent par former une image. Qu’elle se veuille attachée à un figuratif préalable ou qu’elle se proclame davantage comme une vue de l’esprit se tenant par elle-même, cette image est toujours le fruit d’une émergence : du complexe et du multiple finit par apparaître quelque chose d’unique, un peu à la manière de la vie émergeant spontanément à partir de briques chimiques élémentaires. Car au coeur de l’oeuvre, de ses quantités de matière superposée apparemment dédiée à l’abstraction, apparaît toujours le motif exprimé à divers niveaux de lecture. Il convient d’insister sur ce point : Somsak Hanumas ne part pas du réel pour fabriquer de l’abstrait mais fait réapparaître le réel au sein d’une trame qui ne le contient pourtant pas en soi. Ceci est bien une pure démarche de peintre ayant constitué son métier dans le vaste continuum de l’histoire des arts et qui en comprend les enjeux véritables. Remarquable pertinence théorique, presque académique d’un artiste ayant pavé seul sa route. Dans son vocabulaire, il désigne d’ailleurs, non sans une certaine pudeur, son travail d’« art contemporain classique ». Certains le qualifieraient sans doute de façon plus spécifique comme appartenant au monde artistique post-contemporain, dont la digestion des problématiques ayant animé la création du dernier siècle est désormais complète, dépassionnée, rangée. L’explosion en Europe de sa notoriété a été accompagnée par un travail de fond effectué depuis de nombreuses années par l’Asiart Gallery, établissement

bordelais qui a bâti sa renommée sur sa spécialisation ancienne en arts d’Asie du Sud-Est et en particulier de Thaïlande. Dominique Sibade, ancien expert en antiquités asiatiques, avoue avoir longtemps importé la production d’artistes thaïlandais par goût puis par conviction, parfois contre le sens du marché. Le soudain engouement pour l’un de ses artistes est pour lui une extraordinaire surprise autant qu’un aboutissement logique. Le soutenant depuis une quinzaine d’années, l’Asiart Gallery lui a par exemple très tôt permis de travailler dans un véritable atelier fonctionnel doté d’un chauffage, – équipement rarissime en Thaïlande – afin de faciliter le séchage de ses toiles. En grande évolution depuis six ans, un tournant est pris en 2022 lors de la Biennale de Venise, théâtre de la concrétisation de tout le travail effectué depuis le début de cette collaboration. Aujourd’hui, on retrouve des dizaines de toiles de Somsak Hanumas sur les listes d’achat de fondations telles LVMH, Magrez, Mikati ou encore Wahlroos. De nombreux collectionneurs se sont emparés de cette apparition rafraîchissante au sein du marché de l’art mondial. Les ayants droit Fernand Léger, pour ne citer qu’eux, par amour pour le symbole de continuité historique que cela représente, ont récemment fait le pari de Somsak Hanumas. Indicateur- roi des mouvements significatifs sur le marché de l’art, ses résultats sur le marché secondaire sont en hausse constante, sans toutefois toucher à l’irrationnel spéculatif. La magie d’une oeuvre d’art ne tient pas seulement à sa capacité à dire quelque chose du réel mais à accompagner ce réel en son plein accomplissement. Ainsi contemplons-nous parfois en même temps qu’une toile, une part du monde prendre la forme qui lui était dévolue.

Thibaud Josset

Plus d’informations et contact sur :
www.asiart.fr

Love who we are meant to, acrylique et laque sur toile, 250 x 120 cm
Love who we are meant to, acrylique et laque sur toile, 250 x 120 cm
Fragile (détail), acrylique et laque sur toile, 180 x 120 cm

Fragile (détail), acrylique et laque sur toile, 180 x 120 cm