Vieceli
Paris-Cannes
« L’art d’être galeriste »
Régulièrement mentionnée dans nos pages, la galerie Vieceli est née en 2005 de la passion pour l’art d’un couple d’entrepreneurs, mécènes et collectionneurs respectueux du travail des artistes contemporains, tournés vers la Figuration dans son acception la plus large et portés par les mouvements alors foisonnants du Pop art et de l’Urban art.
Au fil des années, ce sont trois galeries qui ont été ouvertes sous cette bannière. L’une adjacente à la place des Vosges à Paris, les deux autres installées le long de la rue d’Antibes à Cannes. Dix-huit ans après leur fondation, les galeries Vieceli continuent de croître et mettent à profit l’expérience acquise pour participer à la construction d’une scène artistique contemporaine renouvelée.
La galerie de la rue du Pas-de-la-Mule dans le IVe arrondissement de Paris a été inaugurée en 2010 à l’occasion de son vernissage mettant à l’honneur Michelle Morgan. En treize ans d’expositions, d’évolution et de restructuration, la galerie Vieceli de Paris s’est affirmée comme une véritable petite maison offrant asile à la Figuration contemporaine. Des artistes comme Gérard Le Nalbaut, Michel Jouenne, Hervé Loilier, Guy Demun, Marc Chapaud, etc. se sont succédés sous ses cimaises en y donnant le meilleur d’eux-mêmes pour satisfaire une clientèle parisienne et internationale exigeante. Des représentants de la scène Urban Art comme Fabiola Govare, Lis Sam, Jean-Paul Kala et d’autres, apportent par leur fraîcheur et leur inventivité un souffle supplémentaire rattachant la galerie Vieceli de Paris à l’esprit volontiers disruptif et avant-gardiste associé au quartier du Marais. Parmi les nombreuses galeries présentes aux abords de la place, cet espace est un point d’arrêt incontournable et parfois surprenant pour tout amateur d’art. A la fois classique, urbain et pop.
La galerie du 111, rue d’Antibes à Cannes, inaugurée en 2015 à proximité de sa grande sœur du 122, est la dernière-née des galeries Vieceli, la seconde à Cannes. Ecrin forgé par le savoir-faire Vieceli en matière de sélection d’œuvres, cette galerie a été pensée comme un porte-étendard des valeurs qui ont fait son succès depuis 2005 : passion du coup de cœur, cohérence et solidité des partis pris esthétiques, respect des artistes et amour du partage.
A deux pas de tout ce que compte de prestigieux Cannes et la Riviera française, il s’agit d’un espace privilégié destiné à promouvoir les arts contemporains, des classiques de la Figuration du XXe siècle tels que Jean Jansem, Théo Tobiasse, Oscar Rabin ou encore Bernard Buffet, aux grands noms d’aujourd’hui qui perpétuent l’esprit des Maîtres.
La galerie située au 122 de la même rue, enfin, n’a eu de cesse depuis son inauguration en 2008 de démontrer l’envie d’ouverture et d’évolution propre à l’esprit Vieceli. Pensée comme un point nodal artistique, lieu de rencontre et de partage tourné vers l’avenir de l’art contemporain, le « 122 » comme il est surnommé par les collectionneurs d’art de la Côte, brandit haut son orientation Urban, Street et Pop, et sa volonté d’aider à la diffusion de ce qui se fait de mieux dans ces domaines trop souvent galvaudés, tout en participant à l’émergence de jeunes talents. Le « 122 » porte ainsi à lui seul une véritable ligne artistique indépendante, avant-gardiste sans jamais tomber dans l’écueil de la facilité.
En venant discuter avec le nouveau directeur de l’ensemble des galeries Vieceli, Nicolas De Oliveira, on est immédiatement happé, dès le seuil de la galerie de la rue du Pas de la Mule, par le sentiment de ne pas pénétrer « dans » un lieu, mais « chez » quelqu’un. Une atmosphère familiale, bienveillante qui tranche, – il faut bien l’avouer pour qui a l’habitude du Marais –, avec la froideur distante que le sens de l’inaccessible semble imposer à certains, enveloppe tout de suite le visiteur et le met à l’aise. A bâtons rompus, la conversation se porte naturellement sur l’essentiel.
Michel Jouenne, Roche blanche des Alpilles, 97 x 130 cm
Univers des arts : Que signifie en 2023 être galeriste ?
Nicolas De Oliveira : Cela signifie jongler avec deux injonctions contradictoires qui, je crois, résument bien notre époque. D’une part accepter que le rôle du galeriste ait été fortement remis en question depuis l’avènement des réseaux, ceux-là ayant permis aux artistes de prendre en main leur communication (ou du moins de leur en donner l’illusion), et d’autre part mesurer l’importance des responsabilités qu’une galerie physique, ayant pignon sur rue depuis (et pour) longtemps, doit assumer à l’égard de ses artistes et de son public. Plus fortes sont les remises en question, plus profond est le retour à l’essence des choses.
UDA : Dans les périodes de transformations rapides, il est parfois difficile d’identifier cette essence. Comment la retrouve-t-on, malgré le bruit ambiant ?
N.D.O. : Avec passion, tout simplement. Galeriste est un métier très particulier qui ne doit pas être un simple synonyme de marchand, promoteur ou exploitant. Galeriste, c’est tenir une galerie, la faire vivre et non simplement la remplir. La rendre accessible à tous et pas juste « y faire venir des acheteurs ». Avant d’être quoi que ce soit d’autre d’un point de vue commercial, c’est un lieu où l’on voit de l’art. Et l’art est fait par des artistes, pas par des entrepreneurs.
UDA : Cela signifie aussi de trouver sa place dans un monde particulièrement concurrentiel, souvent opaque. Comment trouver et conserver sa ligne directrice au fil des ans, de façon à construire une structure pérenne sans faire de concession aux turpitudes sociales ?
N.D.O. : On fixe un cap avec le cœur et on le maintient avec son sérieux, son travail. Avec l’amour du travail vient la constance indispensable à toute réalisation durable. Pour répondre au fond de la question, je dirais que plus le projet auquel on souhaite donner vie est passionné, plus la conscience de travail doit être forte. Des objectifs froids, impersonnels, intéressés ne nécessitent souvent pas autant d’investissement et de labeur pour être menés à bien. Cela peut paraître injuste mais je crois que c’est aussi une chance pour qui est prêt à s’investir corps et âme au service d’un objectif noble.
UDA : Le travail vrai, sincère, n’est pas attaquable. Ce fut une clef de la bonne réputation dont Vieceli a bénéficié dès ses débuts. Cette « chance » est une sorte de preuve de soi, comme un talisman ?
N.D.O. : Oui, je crois. La vraie chance est de pouvoir être soi car l’on ne craint pas les jugements, les critiques, pas simplement parce qu’on suit sa passion mais parce que le travail qui permet de lui donner vie est un révélateur de sa vraie nature. Et quand on est soi sans retenue, sans fausseté, on peut vraiment toucher les autres, qu’il s’agisse des artistes avec qui l’on choisit de travailler ou du public que nous accueillons chaque jour dans notre univers.
UDA : En se rendant dans n’importe laquelle de vos galeries, on a tout de suite le sentiment d’arriver dans un endroit connu, familial. Cela contraste avec le côté « intouchable éthéré » que beaucoup d’acteurs du monde de l’art se donnent.
N.D.O. : On ne peut pas dire que ce soit voulu, planifié. C’est juste ainsi que nous agissons envers les autres. Notre esprit est de partager « ce que nous sommes » et pas seulement « ce que nous faisons ». Cela a pris une nouvelle dimension au fur et à mesure de la montée en puissance des réseaux et des plateformes. Nous agissons à travers le lien humain que la digitalisation de la société ne permet pas. Il ne faut pas le voir comme une réaction basique à ces transformations, mais plus comme le constat qu’au milieu du brouhaha, il est nécessaire de pouvoir compter sur un havre de paix. Chez Vieceli, le galeriste a toujours un contact humain, direct avec les artistes, être là pour eux, pour discuter. J’ai personnellement chacun de nos artistes au téléphone une à deux fois par semaine. Pas pour parler affaire mais bien pour se parler humainement. Et puis nous avons le goût de perpétuer quelque chose du savoir-faire et du savoir-vivre à la française, avec son esprit de convivialité. J’entends parfois dire que nous sommes une galerie humaine, mais je crois que nous essayons surtout d’être une galerie vivante. Le reste vient après.
UDA : En somme une maison pour les artistes ?
N.D.O. : Quand on a à cœur de bâtir un lieu dédié à l’art, on a forcément à cœur de construire une maison pour les autres. Si l’on n’est pas fondamentalement ouvert, on risque de se couper de choses formidables. Une maison est faite pour être habitée, vécue, traversée de rencontres et de passions. Comme je l’ai dit, il faut défendre ce qu’on aime, être soi sans concession afin de pouvoir en toute sérénité demeurer ouvert sur ce qui n’est pas soi, et donc toucher les autres. Une maison est agréable quand on y sent l’esprit du maître de maison.
UDA : Vous avez évoqué la digitalisation de la vie quotidienne. On voit se dessiner un nouveau rapport à l’œuvre d’art, appréciée à travers un prisme nouveau de mise en scène de soi. Qu’en pensez-vous et qu’est-ce que cela doit susciter de réflexion sur la façon dont l’art est vécu socialement ?
N.D.O. : L’art c’est du concret, de la vie, pas du paraître et des likes. Le marché se fourvoie en pensant pouvoir se structurer autour d’un public qui a pour seule ambition d’être vu avec les œuvres et non d’en jouir intimement. Ce qui compte, ce sont les amateurs qui ont l’ambition de posséder un morceau d’univers pour soi d’abord et pour permettre à d’autres de la voir dans le futur. Le narcissisme qui consiste à se regarder en train de vivre ou en train de voir, est antinomique avec la démarche d’un véritable amateur d’art qui a justement pour objectif de ne faire que voir, que ressentir sans devoir faire de détour par une image extérieure à ce binôme spectateur/œuvre. Au final, l’art est un bon résumé des ambiguïtés de notre rapport au monde. Il faut authentiquement être pour partager et non partager pour se donner l’illusion d’être.
Au terme de cette conversation, on se prend à se promener parmi les œuvres, le plus simplement du monde. Les sculptures d’Albert Avetissian happent le regard instantanément et donnent envie de faire abstraction des convenances techniques et biographiques pour se laisser vivre parmi ces murs, un instant à l’abri de l’effervescence du boulevard Beaumarchais tout proche. Comptant parmi les plus anciens piliers de la galerie Vieceli, Albert Avetissian a décidément un univers envoûtant. Ses allégories féminines fascinent au-delà des considérations formelles, portant sur leurs élégantes épaules un irrépressible élan de vie, un mouvement porté par une énergie invisible. Ce sculpteur arménien très respecté dans le monde slave, exposé dans le monde entier, membre de l’Unité des peintres professionnels de l’UNESCO, raconte le cosmos en transcrivant dans la forme jusqu’aux plus élémentaires briques de la conscience, de ses raisons et de ses folies. Le sentiment d’apaisement qui découle de la révélation simple de réalités complexes, cassant soudain la confusion, est là dans ce panthéon féminin.
Le regard se porte d’une sculpture à l’autre jusqu’à rencontrer l’un des pachydermes de François Vandenberghe. Ses éléphants eux aussi assument une fonction que l’on pourrait qualifier d’allégorique, quoique dans une démarche plus réaliste que fantastique ou onirique. Sa grande « Comédie pachydermique » ainsi qu’on peut la définir, met en scène ces créatures, merveilles du vivant, qui semblent tantôt se moquer de l’Homme et tantôt partager avec lui la peine et le fardeau de l’existence. A les voir porter sans y penser leurs défenses, objet de convoitise pour certains, on ne peut que songer à une vague mais tragique « insoutenable légèreté de l’ivoire… »
En cheminant le long des murs, on se sent soudain investi d’un souffle en parcourant du regard quelques toiles de Michel Jouenne. Ce monument pictural, édifice érigé au long d’une vie consacrée à la peinture et rien qu’à la peinture, rend humble devant la Nature autant que devant sa transcription par le maître défunt, mais exalte aussi par le sentiment d’infini qui s’en dégage au profit de l’âme, réveillant ce rêve d’éternité que la vie contemporaine parfois ensommeille trop fatalement. Le geste de l’artiste démiurge vibre encore dans l’air autour de chaque toile. Déconcertante présence d’une main que l’on sentirait presque malgré l’absence, venir se poser sur l’épaule du spectateur.
Prêt à voyager pour tenter de rejoindre cette part manquante de soi, une toile carrée de Mitro représentant Time Square semble surgir de son mur pour nous avaler dans sa perspective. Cet artiste, créateur d’images contemporaines, marie dans la grande fête du plan la Figure et le Poème, la chose et son nom, le mot et la couleur ; il fait éclater au grand jour la trame insoupçonnée du visible et nous la tend, l’air de dire « allez-y, marchez, ressentez, vivez. »
Quand vient le temps de quitter les lieux, on ne peut que penser aux sensibilités des uns et des autres, simples amateurs ou collectionneurs, admirateurs et créateurs, artistes et camarades, maîtres et élèves qui ici comme ailleurs ont marché, discuté, inventé ensemble. Si une galerie digne de ce nom doit être une maison pour les artistes, alors Vieceli est plus qu’un lieu de partage et d’échange, un refuge pour tous ceux qui, comme tant d’autres avant eux, souhaitent toucher l’ailleurs et être touché par lui.
Thibaud Josset
Galerie Vieceli – Paris
5, rue du Pas de la Mule – 75004 PARIS
Du mardi au samedi 10h-13h/15h-19h
01 42 74 80 54 / 06 04 59 39 07
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Galerie Vieceli – Cannes
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Du mardi au samedi 10h-13h / 15h-19h
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Annabelle Delaigue, Manhattan, bronze
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