Vieceli
Une masion pour soi
Au lendemain de la crise sanitaire, nous entamions un cycle de réflexion sur le métier de galeriste, sur ses enjeux et ses dynamiques. Au sein de ce cycle, un feuilleton a été pensé autour des activités de la galerie Vieceli, de ses équipes et de ses artistes. Cette galerie familiale comptant trois établissements à Paris et Cannes nous apparaissait depuis longtemps comme un modèle intéressant au cœur d’une typologie complexe. Dans ce nouveau développement, nous avons décidé de nous pencher sur un sujet largement laissé de côté par les commentateurs du milieu de l’art : les acheteurs eux-mêmes.
Lors d’un précédent écrit, un dialogue était rapporté avec le directeur des galeries Vieceli de Paris et Cannes, Nicolas de Oliveira, permettant de fixer des traits essentiels à cette maison un peu à part dans le paysage des galeries d’aujourd’hui. C’est que parmi les quelques 2200 galeries recensées en France, dont environ 450 pour la seule place parisienne, Vieceli a longtemps fait figure de maison atypique. Mais cet atypisme relevé dans ses premières années d’existence s’est peu à peu mué en évidence, comme si ses partis pris jugés à contre-courant de l’air ambiant au milieu des années 2000 s’étaient finalement révélés dix ans plus tard parfaitement à propos, et l’avaient été de plus en plus au cours des dernières années.Parmi ses caractéristiques, rappelons qu’il s’agit d’une maison dont le modèle économique est purement traditionnel, sans appui sur un groupe d’intérêt financier et sans levée de fonds externe. Son développement s’est effectué en interne par poussées successives et elle n’a jamais dévié de ses choix artistiques initiaux.
Jean-Paul Kala, Lova
Son goût s’est maintenu pour la figuration d’héritage classique ainsi que pour le pop et l’urbain, avec l’intuition très juste que la première devait avant tout faire valoir sa liberté et son audace pour avoir du sens, pendant que les seconds, pour ne pas sombrer dans l’insipide, se devaient de porter une idée d’exigence, une sorte de tenue de soi au milieu des courants inconsistants. Nous insistons sur ce point car il est facile d’oublier que ces notions étaient peu prises au sérieux dans la France du milieu des années 2000, où le classicisme semblait englué dans des positions peu porteuses, et les tendances pop quant à elles, condamnées à la facilité et au superficiel. Si la crise financière, l’accélération de la digitalisation du monde, les ruptures dans les politiques culturelles, puis les affres bien connues de notre temps ont causé une profonde reconfiguration du secteur, elles ont globalement donné raison aux orientations d’origine de Vieceli. Au-delà de ses choix artistiques, les rapports entretenus par la galerie avec ses artistes et le lien tissé avec son public, notamment à travers un usage intelligent des médias sociaux ainsi qu’une approche chaleureuse de l’accueil physique des visiteurs, ou plus généralement son sens de la responsabilité du galeriste en tant qu’acteur culturel et non de simple commerçant, font de cet établissement une efficace plateforme culturelle multisupport. Enfin, Vieceli tire de son organisation familiale l’inestimable atout de l’agilité face aux crises, rendues d’autant plus dangereuses par la rigidité structurelle des établissements financiarisés. Depuis le départ, le cœur de notre propos à l’égard de Vieceli réside dans l’idée qu’il reste de la place pour le travail du galeriste et que son rôle, loin d’être anéanti par la modernité, doit au contraire ressortir grandi, réanobli par les enjeux actuels du monde de l’art. Pour avancer dans ce portrait qui a tantôt donné la parole au galeriste tantôt à ses artistes, nous choisissons ici de présenter quelques fragments de conversations avec différents acheteurs étant passés par Vieceli. Précisons au passage que ces bribes de conversations ont été réunies sans transiter par le galeriste lui-même.
Galerie Vieceli, 111 rue d’Antibes, Cannes
Une première conversation auprès d’une collectionneuse parisienne. Cette enseignante à la retraite suit l’actualité de la galerie de la rue du Pas-de-la-Mule située à l’entrée de la Place des Vosges. Elle est attachée au quartier pour y avoir enseigné dans sa jeunesse. Si elle affiche une indéniable élégance, elle est éloignée des codes des acheteurs d’art contemporain du Marais. “Je viens d’une génération qui a acheté des œuvres d’art au compte-goutte, un peu comme un luxe, nous glisse-t-elle, mais avec un sentiment de liberté, avec l’idée que n’importe qui avait le droit de posséder une œuvre. Je crois qu’aujourd’hui, les marchands d’art ont dressé une barrière avec le public en lui faisant croire qu’acheter une œuvre d’art était non seulement un luxe, mais un luxe inaccessible.” En avançant dans la conversation, elle développe au sujet des galeries qu’elle fréquente encore : “Je viens dans le quartier assez régulièrement pour me changer les idées et me rappeler des souvenirs. La galerie Vieceli est l’une des trois ou peut-être quatre galeries que j’aime fréquenter, avant tout parce qu’on s’y sent bien. Beaucoup de galeristes vous donnent l’impression de les déranger quand vous les visitez. On a pourtant le droit de rentrer dans une galerie sans acheter, je l’ai toujours dit à mes élèves ! Une galerie est aussi un lieu où on voit de l’art. Chez Vieceli, on sait que si on voit un tableau qui nous plaît depuis la vitrine, on est tout à fait la bienvenue pour entrer, le voir de plus près, en discuter… J’aime les paysages qui ont une perspective, une ouverture, surtout dans l’urbain, qui vous donne la sensation d’espace qu’une photographie ne peut pas vous procurer. Ce genre de figuration qualitative mais à prix abordable, même si j’ai conscience que cette notion est relative, est finalement devenue assez rare dans le coin.” Et sur ses habitudes d’achat : “Ma génération a aimé posséder des morceaux d’univers artistique, même quand l’artiste était trop cher. C’est sans doute de là qu’est venu le succès des lithographies, qui est un peu passé. Mais si on parle d’œuvres uniques, ma fréquence d’achat doit être d’un tableau ou d’une sculpture tous les deux ou trois ans environ. Même si je ne roule pas sur l’or, ma retraite de professeure me le permet encore… pour le moment.”
Une autre conversation avec un couple d’entrepreneurs du bâtiment nous permet de nous engager dans une autre direction : “Nous habitons en région parisienne, en petite couronne et à vrai dire, même si nous aimons venir nous promener dans le centre de Paris, nous ne fréquentions pas les galeries d’art. Nous avons longtemps eu l’impression que c’était un monde qu’il fallait connaître, auquel nous nous sentions étrangers. C’est lors de vacances dans le Sud que nous sommes tombés par hasard sur les galeries cannoises de Vieceli. C’est là que pour la première fois il y a six ou sept ans, nous sommes entrés dans une galerie d’art. Il y avait une inauguration et nous nous sommes arrêtés devant la vitrine où étaient exposées des œuvres pop très colorées, pétillantes. Ce fut un coup de cœur immédiat et lorsqu’un monsieur qui se trouvait dans la galerie nous a fait signe d’entrer, un déclic s’est produit. C’était la première fois que ce monde nous ouvrait ses portes. Cet homme a depuis pris sa retraite mais nous pensons souvent à lui. Nous avons fait notre premier achat avec lui quelques jours plus tard et sommes remontés sur Paris avec une belle sculpture dans notre coffre. Nous nous rendons de temps à autre rue du Pas-de-la-Mule, mais nous n’y avons pas vraiment d’habitude d’achat. Notre rituel est de descendre une fois l’an sur la côte d’azur et de faire un arrêt rue d’Antibes à Cannes, sur le chemin du retour. Une place est toujours prévue dans notre voiture au cas où un coup de cœur se présente.”
Nous échangeons enfin avec un jeune homme d’une trentaine d’années avec qui nous prenons un café sur le boulevard Beaumarchais. Avec lui et contrairement aux autres, l’échange tourne d’emblée autour de la question de l’argent : “Je viens de Bretagne et je suis venu sur Paris à vingt ans lorsque j’ai intégré une grande école. En arrivant, je me suis pris un véritable mur, celui du paraître, de la confrontation narcissique constante à laquelle, venant d’une “petite prépa” de province, j’étais totalement impréparé. Entendre à longueur de journée des jeunes privilégiés parler de la voiture ou de la montre qu’ils posséderaient avant leurs trente ans pouvait être dur pour moi qui venais d’un milieu ouvrier et agricole. Quand bien même j’en aurais les moyens, je préfèrerais m’assurer d’avoir un toit sur ma tête avant toute chose, pensais-je souvent pendant mes études. La vie a fait que j’ai aujourd’hui la chance d’occuper un poste plus intéressant financièrement que la plupart de mes camarades de cette époque… A l’approche de mes trente ans, ma fiancée m’a demandé si je voulais recevoir une belle montre, du genre qui pose un statut. En parcourant les sites de vente en ligne, je me suis rendu compte que pour ce prix, je pouvais aussi acheter un tableau ou quelque chose du genre, – ce n’était pas vraiment clair -, et puis je me suis mis à penser très fort à mon grand-père du côté maternel qui avait été artiste-peintre, qui avait fait les beaux-arts à Paris dans les années cinquante et qui était un peu le héros de la famille, mort très jeune. Et j’ai eu un déclic. Il était hors de question que je dépense mon argent dans du superficiel, de l’ostentatoire aussi caricatural qu’une montre de luxe, quand bien même il s’agirait d’un bon investissement pour l’avenir. Ce que je voulais, c’était avoir quelque chose de vraiment beau chez moi, quelque chose qui soit moi et pas un autre. Alors j’ai fait mon enquête, j’ai beaucoup traîné sur internet et puis je me suis mis à me rendre discrètement dans des galeries pour essayer de comprendre ce qui existait sur le marché, et pour faire court, à ce jeu c’est la galerie Vieceli qui a gagné. J’y ai trouvé une marine magnifique, qui évoque les paysages de mon enfance. Aujourd’hui, je me fiche de savoir ce que l’œuvre que j’ai acquise vaudra dans dix ou vingt ans, c’est un trésor à mes yeux et je ne m’en séparerai jamais. Maintenant, c’est ma fiancée qui envisage de sauter le pas avec le goût qui est le sien. Peut-être le début d’une collection.”
Ces conversations rapportées nous permettent de brosser un bref paysage des motivations qui peuvent animer des acheteurs. Mais elles nous mènent aussi en filigrane à dégager quelques qualités essentielles à une galerie d’art et que Vieceli sait mettre en avant. Le dénominateur commun à ces portraits est l’ouverture à l’autre, même si cela peut paraître galvaudé, la capacité à tisser un lien entre le public et l’œuvre avec naturel et simplicité. Même si cela pourrait faire l’objet d’un développement à part entière, l’articulation entre la présence physique et la communication digitale, avec ses contenus intelligents, respectueux de chacun et bienveillants, qui ne s’abaissent jamais au marketing, n’est sans doute pas étranger à ce résultat. Ces portraits nous rappellent surtout que posséder une œuvre d’art ne peut en aucun cas être présenté comme rationnel, comme s’il s’agissait d’un bien de consommation comme une voiture ou un sac à main de luxe. La vraie honnêteté d’une galerie comme Vieceli, c’est peut-être de savoir reconnaître avec toute la force de la raison, que l’art est injustifiable. La seule chose qui lui confère sa valeur, c’est la liberté des acheteurs émancipés des injonctions et des tromperies.
Thibaud Josset
Le Tombeau de Merlin, Huile sur toile, 130 x 89 cm
Galerie Vieceli – Paris
5, rue du Pas de la Mule – 75004 Paris
Du mardi au samedi 10h-13h/15h-19h
01 42 74 80 54 / 06 04 59 39 07 / contact@galerievieceli.com
Galerie Vieceli – Cannes
111 & 122, rue d’Antibes – 06400 Cannes
Du mardi au samedi 10h-13h / 15h-19h
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