Univers des Arts

Editorial #215

par Thibaud Josset

Première de couverture magazine #215 Univers des Arts
Depuis ses origines, Univers des arts a soutenu qu’il fallait dépasser l’opposition systématique entre l’inspiration classique et la contemporanéité conceptuelle. Pour le dire autrement, qu’il était sclérosant de devoir choisir entre l’oeuvre d’art comme aboutissement formel et l’oeuvre d’art comme impulsion intellectuelle. La notion vague, difficile à définir précisément, d’un art post-contemporain assumant l’enracinement dans ses traditions tout en ne reniant pas les grands apports de la liberté offerte à l’artiste au siècle dernier, est désormais dans l’air du temps. Même si sa diffusion est plus lente en France, cette notion résume bien ce que l’on observe ailleurs, surtout en Europe du Nord et dans le monde anglo-saxon. En particulier, de nouvelles figurations sont là qui laissent derrière elles le culte du concept autant que son rejet, l’obsession de l’Histoire autant que son mépris. Ce contexte stimulant ne fait cependant pas oublier que les débats autour de l’art contemporain au sens large, c’est-à-dire de la création en train de se faire, n’échappent pas aux crispations politiques ambiantes. Des postures extrêmes se combattent de plus en plus violemment alors même que les catégories d’idée sur lesquelles elles reposent ne signifient sans doute déjà plus grand-chose aux yeux de celles et ceux qui feront l’art de demain. La distance salutaire, retrouvée entre la création d’aujourd’hui et les interminables querelles idéologiques du monde de la culture, permet de se projeter vers le futur avec plus de clarté, plus d’objectivité quant aux aspirations réelles de la jeunesse créative. Cette prise de recul permet au passage de dépassionner l’histoire des arts récente et de se souvenir, par exemple, que l’art contemporain structuré autour du concept, si clivant dans sa caricature des dernières décennies, tellement décrié ou au contraire tellement pris au sérieux, ne peut pas être compris dans son historicité sans ses fondements absurdes et humoristiques. Si l’art pour l’art, l’art sans sens, sans esthétique ou ultra-intellectualisé nous paraissent liés à des dynamiques globalisées, éloignées des cultures nationales, il ne faut pas oublier que leurs origines se trouvent pour une bonne part dans l’esprit parisien des années 1880-1910, dans ce sens de l’humour philosophe, existentiel et moqueur d’un Alphonse Allais, de l’argot versifié des poètes du Chat noir, de la queue d’un âne de Montmartre… Ce sens de l’humour contestataire, profond dans son apparente absurdité, est un trait culturel qui a pour ainsi dire disparu avec le vieux Paris. Sa portée est cependant bien connue des historiens et il convient de la mettre davantage en avant : quelle que soit l’orientation que prendra l’expression artistique de notre siècle, il convient de souhaiter qu’elle soit capable d’autant de grandeur que d’autodérision.