Le problème des Beaux-arts
par Thibaud Josset
Les Beaux-arts ont le pouvoir de faire évoluer les systèmes de représentation, non de les répéter. Lorsqu’il y a répétition, imitation, il y a alors stagnation et les Beaux-arts cessent d’être. Dans le même temps, s’il y a négation des systèmes préexistants, absence d’attache, alors les Beaux-arts cessent tout autant d’être. Pour mériter leur dénomination, les Beaux-arts se doivent de s’inscrire dans une continuité qu’ils rêvent de rompre. Cela signifie chercher à briser codes et principes connus tout en souhaitant ardemment ne jamais avoir à s’en séparer. Si l’une de ces deux conditions fait défaut, la création n’est que divertissement sans fond ou à l’inverse concept sans âme. Tout autre jugement de valeur est inconsistant, toute autre typologie inutile.
La tension fondatrice que l’on perçoit presqu’invariablement chez les personnalités ayant véritablement « touché » leur sujet, quoi qu’elle puisse prendre diverses formes, est un rapport mêlé d’amour et de haine à l’égard de leur art lui-même. L’extase béate devant la création des autres ne fait pas l’amateur d’art, de même que la volonté d’effacer les traces laissées par les autres avant soi ne fait pas l’avant-gardiste. Admirer de tout son cœur une œuvre tout en ressentant le besoin viscéral de l’anéantir, de l’écraser sous sa propre vision, voici le « problème » qui ronge, torture et motive l’existence d’un artiste.
Être « créatif » n’est bon qu’à amuser le public ou encore plus égoïstement soi-même. Voilà ce qui différencie les Beaux-arts de l’art en général. Ce n’est pas qu’un apport à l’histoire du medium utilisé, à la conservation de la technique ou à une permanence culturelle attribuant une valeur à certains modes d’expression au titre qu’ils se placent dans une continuité remontant à l’antiquité.
Ce n’est pas une étiquette vide de sens qui peut se laisser diluer dans le grand bain des expessions esthétiques ni dans le flux anodin du beau décoratif. Les Beaux-arts sont avant tout quête de plasticité là où il y a rigidité, de transformation là où il y a sclérose, ce qui
suppose toujours au moins un peu, un refus de se soumettre au cours des choses, à l’état de la société ou tout simplement à la condition humaine.
Cela n’impose pas l’engagement, ni social ni philosophique, mais le besoin de ne pas se laisser faire par ce qui n’est pas soi et ceci, en évitant la voie narcissique offerte par l’art pour l’art, par le concept fanfaron et le moi mis en scène. L’artiste qui fait les Beaux-arts est un parangon de paradoxe humain : ayant décidé de dédier sa vie à un mode d’expression qui lui est préalable et qui lui survivra, qui est absolument tout pour lui au point qu’il se sent n’être qu’un nain sous le regard des géants qui en ont fait la gloire passée, il ne peut cependant faire autrement que d’en saper l’édifice afin de le reconstruire à sa façon, d’abaisser ses
splendeurs jusqu’au ras du sol pour les faire siennes et, après y avoir apposé sa vision d’individu, les replacer au sommet des trésors qui surplombent l’existence terrestre.
Celles et ceux qui souhaitent s’engager sur la voie artistique doivent se poser les bonnes questions afin de ne pas se fourvoyer dans leurs objectifs et risquer d’entraîner les autres dans leur chimère. Où se trouve la priorité : dans l’art ou l’individu qui le fait, dans son propre art ou dans celui des autres, dans le réel ou dans les sens, dans les sens ou dans l’imagination, dans la création ou dans la vie ? À ces questions, il n’y a pas de mauvaise réponse. Mais il existe assurément de mauvais points de vue.